On veut bien y croire : des voix s'élèvent pour condamner le terrorisme. Plusieurs partis politiques s'y mettent. Avec les derniers développements terroristes à Jebel Chaâmbi, cela sonne politiquement correct. Et pour cause. Les Tunisiens n'en croient pas leurs yeux. Jusqu'à il y a peu, le terrorisme leur était inconnu ou presque. Malgré quelques épisodes douloureux. Maintenant, on y est entièrement. Le monde entier nous regarde, médusé. Cela ne nous ressemble pas. D'abord historiquement. Les Tunisiens ont toujours cultivé l'art de la modération, de l'innovation, de l'accueil et du brassage. Entre les cultures, les civilisations, les religions. Et puis politiquement. Les Tunisiens ont initié, en janvier 2011, le cycle des révolutions du Printemps arabe. Leur révolution est la première en son genre dans la sphère arabo-musulmane. Première révolution fondée sur les valeurs de liberté, de dignité et d'individu dans un monde attaché généralement aux valeurs de groupe et de justice. Mais ça n'a pas tardé à déraper. Jadis unis, les Tunisiens sont désormais divisés. Les valeurs libertaires de la révolution ont été sitôt hypothéquées. Le prosélytisme religieux, l'incitation à la haine religieuse et identitaire et les commandos de la haine sévissent. Et puis des groupuscules extrémistes religieux ont investi la place. Ils démonisent, diabolisent, conspuent, tuent. L'incitation à la haine est devenue monnaie courante. Des mosquées sont mises à profit, notamment pour recruter des milliers de jeunes tunisiens utilisés comme chair à canon dans le conflit syrien. Des fatwas appelant à tuer untel ou unetelle sont prises en toute impunité par des imams de fortune, autoproclamés. L'assassinat politique de Chokri Belaïd, leader de la gauche radicale, a mis au jour l'étendue du drame. Les commandos terroristes de Jebel Chaâmbi relayent ceux de Rouhia, Bir Ali Ben Khelifa, Bouchebka. L'escadron de la mort est à l'œuvre. On n'y reconnaît plus son pays. Le laxisme des autorités est décapant. Notamment vis-à-vis des milices suppléant les forces de l'ordre et s'en prenant aux démocrates et aux artistes dans les rues de Tunis et d'ailleurs. Aujourd'hui, nombreux sont les Tunisiens qui ont peur. Ils sont angoissés par les perspectives brumeuses des lendemains de mauvaise fortune. La transition bloquée, conjuguée à l'incompétence de l'establishment et ceux qui tiennent le haut du pavé, attise la sinistrose. Certains pensent même partir ailleurs, s'expatrier, notamment des intellectuels et des gens de la classe moyenne et de profession libérale. C'est paradoxal aux lendemains d'une révolution fondée sur les valeurs de liberté et de dignité, mais c'est ainsi. Les partis politiques se bousculent au portillon de la dénonciation du terrorisme. Près de dix jours après l'irruption fracassante du foyer terroriste de Jebel Chaâmbi. Il faut toujours avoir bonne conscience. Et mieux vaut tard que jamais, se disent plus d'un. Mais l'essentiel est ailleurs. Par-delà les déclamations et professions de foi solennelles. Il est dans le quadrillage du pays et des institutions dans les mailles du filet des commandos de la haine. Il est dans les discours populistes des partis qui caressent dans le sens du poil de la bête pour des considérations électoralistes. Il est dans l'essaimage délibéré des apprentis terroristes. Des responsables gouvernementaux et des partis au pouvoir sont directement impliqués dans les discours et manipulations politiques sur fond de promotion du prosélytisme fanatique. Ce n'est un secret pour personne. D'où l'aspect fantasque et circonstanciel de certaines condamnations du terrorisme. Sans oser s'attaquer au fond du problème. Pour l'instant, on fait le dos rond et l'on entonne le chant des pénitences. En attendant de repartir de plus belle, une fois l'accalmie de retour. Momentanément.