Déracinement identitaire, perte de repères et embrigadement quotidien, voilà comment on arrive à convaincre nos jeunes à épouser les idées jihadistes En avant-goût du congrès national de lutte antiterroriste, attendu d'ici septembre prochain, le débat sur la question bat son plein, ne laissant personne indifférent. Et l'on en redemande encore, afin de bien ficeler la trame d'un plan d'action va-t-en guerre. Mais, comment et par quels moyens le faire ? Car, à phénomène multiforme, réponse plurielle qui requiert une stratégie spécifique à l'aune d'une conjoncture toute particulière. Aux regards croisés, l'Observatoire national de la jeunesse (ONJ) s'est posé la même question: quel traitement peut-on administrer pour faire face à la nébuleuse terroriste en Tunisie? Placé sous le même slogan, l'atelier de réflexion qu'il a organisé, mardi matin, s'inscrit dans le droit fil de la conscientisation collective face aux menaces réelles qui pèsent sur la société. A l'ouverture, M. Mohamed Jouili, directeur général de l'ONJ, se veut pragmatique et réaliste : «l'on ne peut se contenter d'en parler et d'y penser, mais il est plus intéressant d'y apporter des propositions de solution pratique». Cela, évoque-t-il en bref, doit commencer par la mobilisation des premières lignes de défense, à savoir la famille, l'école et le religieux. Une trilogie dont la bonne maîtrise est susceptible d'épargner à la jeunesse, catégorie maniable, tout risque de dérapages extrémistes. Justement, l'amplification de la violence post-révolution a généré des foyers de tension et de fanatisme. Le Pr Imed Melliti, enseignant de sociologie, a attiré l'attention sur les jeunes et l'émergence du salafisme dans les quartiers périphériques de Tunis. Il en cite Douar Hicher et la Cité Ettadhamen comme objet d'enquête sur le sens évolutif d'une socialisation frustrée présentant les traits communs d'une personnalité juvénile en perte de repères. Un tel déracinement identitaire a fini, d'après lui, par mettre au monde un jeune terroriste prêt à se faire exploser. Ces quartiers à la marge d'un modèle de développement juste et équitable sont devenus, à la longue, de vrais sanctuaires salafistes. La déliquescence de l'Etat et ses institutions marquée par trop de laxisme n'a fait qu'amplifier le phénomène, le laissant prendre un incontrôlable élan spectaculaire. Il ressort de l'enquête que le pouvoir du religieux l'emporte sur le politique. Constat chiffré très alarmant : nos politiques n'arrivent à convaincre que 10% des jeunes de ces quartiers. Ce qu'il importe de retenir, remarque-t-il, est que nos jeunes ne savent pas encore comment qualifier un salafiste. «Sur 1.700 jeunes, un tiers parmi eux dans le Grand Tunis disent avoir de la sympathie pour le phénomène salafiste, parce qu'il y a un vide religieux très ressenti», relève-t-il, plaidant pour un recentrage du débat sur une nouvelle lecture critique de la question religieuse. Abondant dans le même sens, la psychanalyste Nedra Ben Ismail est intervenue sur les liaisons dangereuses qu'entretient le rapport adolescence-jihadisme et les multiples facteurs inhérents, lesquels sont souvent d'ordre psychosociologique. Mais, ajoute-t-elle, il n'existe pas un profil type de jeune Tunisien jihadiste. On ne peut pas comprendre, enchaîne-t-elle, pourquoi un adolescent s'est trouvé beaucoup plus attiré par un tel courant jihadiste. Le social fait, selon elle, caisse de résonance. Et comme la nature a horreur du vide, les jihadistes ont une volonté de réinventer l'histoire et d'inverser les tendances islamistes. L'adolescent, étant sous la coupe des parents, se voit impuissant. Ainsi, l'estime de soi et l'éveil pulsionnel qu'il incarne créent en lui un certain fanatisme et un penchant agressif. De ce fait, «aller rejoindre les rangs des jihadistes est synonyme de reconquête du monde pour faire barrage à toute hégémonie humiliante», analyse-t-elle. Elle recommande que l'espace public soit énormément investi par les jeunes et que les parents, de leur côté, essaient de s'ouvrir sur leurs enfants, demandant conseil auprès des spécialistes. L'on se demande comment un jeune peut devenir un tueur d'élite au nom de l'Islam, s'interroge M. Slaheddine Jourchi, présenté en qualité d'analyste politique. Soit, un terroriste endoctriné pour être semeur de mort et même envoyé à l'enfer. Cette métamorphose personnelle ne résiste pas au discours religieux emphatique. C'est que ces jihadistes ont la mainmise sur cette catégorie hypersensible à l'idéologie religieuse fanatique, ayant leur propre style de polarisation à la guerre sainte. Leur doctrine se limite à une étroite lecture du texte coranique lui conférant un caractère sacré. D'après lui, le jihadisme est un phénomène de l'islam politique qui se veut une alternative à son échec, au fil de l'histoire. Il en a fait porter la responsabilité aux mouvements islamistes auxquels manque une vision globale du phénomène religieux. Le traitement de la question terroriste n'exclut guère le rôle des médias. Afin de relever ce défi, notre confrère Zied Krichen, rédacteur en chef au journal «Al Maghreb», a donné une lecture critique de l'hydre terroriste en tant que produit médiatique post-révolution consommé sans modération. Cela étant, les médias ont gardé leur rôle de médiateurs qui rapportent les faits et racontent leurs histoires. Toutefois, faute de règles du jeu professionnelles, les médias se sont vus dérailler, créant une ambiance d'anarchie et de confusion. Ce qui a poussé plusieurs entreprises à déclarer faillite sans que le pouvoir public ait pu agir en connaissance de cause.