Par Brahim OUESLATI On savait la fonction présidentielle dépréciée, on disait qu'elle était amoindrie et affaiblie par la petite constitution qui a régi la période d'après les élections de la Constituante d'octobre 2011, beaucoup moins par la nouvelle Constitution du 26 janvier 2014. Au point que le président de la République était réduit à un rôle honorifique et, passagèrement, à celui d'un chargé « d'inaugurer les chrysanthèmes ». Un simple résident de Carthage. Les tiraillements entre le président provisoire Moncef Marzouki et les trois gouvernements successifs qui l'ont accompagné, le conflit des compétences apparu au grand jour dans l'affaire d'extradition de l'ancien Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi, entre les deux chefs de l'exécutif, et qui a failli faire basculer le pays dans une crise institutionnelle, tant la cohabitation entre Carthage et La Kasbah était difficile, ont mis à nu les failles d'un système hybride concocté par cette instance au nom très long. Les rapports étaient parfois émaillés de piques, de fléchettes et de vifs échanges, par collaborateurs interposés. Parce que choisi et non élu et ne disposant pas de majorité à l'Assemblée, outre l'absence de la culture de l'Etat, la cohabitation de Marzouki avec les trois chefs du gouvernement a été très délicate. Fonction institutionnelle et politique Avec l'arrivée de Béji Caïd Essebsi à la magistrature suprême, la fonction a pris une autre dimension, à la faveur, notamment, de la concordance des majorités. Le président est, en effet, issu du parti qui a gagné les élections législatives et qui a été chargé de former le gouvernement. Mieux encore, les quatre formations de la coalition au pouvoir, notamment le mouvement Ennhadha et son président Rached Ghannouchi, semblent être en parfaite entente avec le nouveau locataire de Carthage. De quoi lui assurer une bonne marge de manœuvre et une souplesse dans l'initiative. La fonction présidentielle n'est pas, aujourd'hui, une fonction « à géométrie variable ». Elle est plutôt une fonction double, institutionnelle et politique. La Constitution fait du président de la République « le symbole de l'unité de l'Etat et le garant de son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution ». Mais ce président, démocratiquement élu, qui n'a été porté au pouvoir que par un peu plus d'une moitié des Tunisiens, se doit de se comporter en tant que président de tous les Tunisiens et savoir se situer au-dessus des luttes partisanes. Se poser en tant qu'arbitre national et comme dernier recours pour rapprocher les vues et désamorcer les crises. Un démineur. Ce qui lui donnerait plus de poids et d'autorité, morale surtout. Et c'est justement, ce rôle-là, que Béji Caïd Essebsi a voulu assumer en ces temps de turbulences. Le rôle du capitaine d'un navire pris dans la tempête. Il ne veut pas se cantonner dans la fonction d'un président qui « inaugure les chrysanthèmes » ou qui accompagne les morts dans leurs dernières demeures, un croque mort. Fort de son expérience dans la gestion des affaires de l'Etat, il a vite évolué vers « un chef de l'Etat directement aux manettes », c'est à-dire, d'un président aux pouvoirs assez limités à « un président à la manœuvre » et aux pouvoirs plus importants que ne le stipule la Constitution. Car, « derrière la question de la place du président de la République se niche celle de l'identité du dirigeant réel du pays. » Sa personnalité et son autorité. Bien dans ses habits de chef d'Etat Dans une démarche fortement appréciée, il a convoqué les principaux acteurs autour de lui à Carthage pour apaiser une situation sociale qui s'enlise au fil des jours et des semaines, à l'orée d'une rentrée scolaire qui s'annonce difficile. Tout a été remis sur la table, l'état des lieux des finances publiques, les revendications sociales, les difficultés de l'économie nationale. Mais aussi les menaces de tous genres qui guettent le pays. Le déclic a eu lieu et les partenaires sociaux ont réussi à dépasser leurs divergences et à s'entendre sur, pratiquement, tous les points. Des accords seront, incessamment, signés pour une paix sociale qui n'a pas de prix. L'initiative présidentielle de réconciliation économique et financière a été, dès son annonce, mal accueillie par l'opposition et par un large pan de la société civile. Comptant sur une large majorité à l'ARP, ses initiateurs n'ont pas réussi à la faire expliquer, faute d'une bonne communication. Face à une coalition en béton formée de plus de 175 députés, l'opposition parlementaire, a brandi la menace de la rue pour faire tomber le projet, bravant toutes les interdictions et ignorant tous les appels à la sagesse et au calme, en cette période à hauts risques. Un bras de fer fut engagé avec le ministère de l'Intérieur qui a opposé un refus catégorique à la marche de samedi 12 septembre contre le projet de réconciliation. C'est alors que le vieux briscard, décida de mettre tout son poids dans la balance et de jouer son rôle d'arbitre. Il convia le chef de file de l'opposition, dite radicale, Hamma Hammami à Carthage, avec qui il a fait un deal. Il a usé de toute son autorité morale pour convaincre le chef du gouvernement et le ministre de l'intérieur afin de prendre les mesures nécessaires pour protéger les manifestants, moyennant l'engagement des organisateurs d'assurer l'encadrement de la marche. Au final, la journée à hauts risques est passée dans le calme. La liberté de manifester a été respectée et la vie démocratique s'est exprimée sans dérives ni dérapages. Et Béji Caid Essebsi, bien dans ses habits de chef d'Etat, a bien joué son rôle d'arbitre national et de capitaine incontournable.