Nabila Hamza, sociologue et experte dans les questions du genre, a pendant sept ans dirigé la fondation pour le futur. L'experte tunisienne a animé et coordonné pendant la rencontre de Madrid un atelier sur l'accès des femmes au monde du travail Vous avez déclaré pendant la rencontre de Madrid que, selon plusieurs études, le travail des femmes était pourvoyeur de richesses et d'opportunités d'emploi supplémentaires. Par quoi expliquez-vous cette donnée ? Contrairement à une idée largement répandue selon laquelle l'entrée des femmes sur le marché du travail compromettait la croissance économique et augmentait le taux de chômage, toutes les études des institutions internationales, Banque mondiale, Fonds monétaire international, BIT, convergent pour dire que le travail des femmes booste l'économie et la croissance. Il crée de la richesse et ouvre de nouvelles opportunités d'emploi, car l'entrée des femmes sur le marché du travail engendre de nouveaux besoins et de nouveaux services : garde d'enfants, soins aux personnes âgées, aide-ménagère, livraison à domicile, transport, loisirs... Par ailleurs, les femmes consomment davantage lorsqu'elles disposent de sources de revenus et contribuent de ce fait à dynamiser la consommation et le marché. Selon une étude du Fonds monétaire international (FMI), 1.000 milliards de $ pourraient être générés en 10 ans, si une politique volontariste de réduction des inégalités homme-femme, en matière d'emploi, était mise en œuvre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (Mena). Ceci permettrait donc de relancer les économies des pays arabes qui tournent au ralenti, voire se dégradent dans bien des cas. Quels seraient les obstacles qui barrent l'accès des femmes de la région Mena au monde du travail malgré leur scolarisation massive ces dix dernières années ? On ne peut pas comprendre la place des femmes sur le marché du travail, si on ne tient pas compte de leur position à l'échelle sociale, des rapports de pouvoir, au sein de la famille, de l'unité de production et de la société dans son ensemble, et bien sûr des politiques publiques en vigueur. Dans cette optique, des recherches portant sur la situation des femmes dans les pays arabes soulignent l'importance d'un ensemble d'éléments qui freinent les progrès réels, notamment au niveau social et institutionnel. Parmi ces éléments, nous retiendrons notamment : «le paradigme traditionnel du genre», qui se traduit par le fait que les hommes sont les chefs de famille tant sur le plan moral qu'économique alors que les femmes doivent demeurer à la maison et s'occuper des tâches familiales. Par conséquent, la priorité est donnée à l'homme en ce qui concerne l'accès au travail et l'utilisation des revenus qu'il en retire. D'autre part, plusieurs recherches ont mis en exergue les interrelations entre les lois régissant les relations familiales et l'activité professionnelle féminine. Or, les codes réglementant les relations familiales des pays arabes (exception faite de la Tunisie, et du Maroc depuis 2004), recèlent encore plusieurs discriminations à l'égard des femmes et sont souvent en déphasage par rapport aux nouvelles réalités économiques et sociales de ces pays. Les femmes continuent de n'être, au plan du droit de la famille (Code de la famille, Code du statut personnel) que des êtres minorés : l'époux est toujours chef de famille et l'épouse lui doit obéissance (la polygamie et la répudiation sont toujours en vigueur..), les femmes n'héritent que de la moitié de la part des hommes, ce qui constitue un obstacle évident pour leur accès aux ressources et par conséquent à leur autonomisation. Un autre facteur a trait à l'existence, dans les pays arabes de lois restrictives à l'égard du travail des femmes, incluant celles destinées à les «protéger». De nombreuses dispositions concernant le travail ainsi que celles qui ont trait à l'état civil, ont un impact très défavorable sur les travailleuses. Des interdictions destinées en principe à les protéger, telles que celles qui concernent le travail de nuit ainsi que le type de professions exercées leur ferment l'accès à un certain nombre d'emplois. L'absence de système de garderies publiques et la très nette insuffisance des services de transport en commun constituent également de sérieux facteurs dissuasifs pour les femmes qui souhaitent accéder au marché du travail. Nombre d'entre elles, gagnant de très faibles salaires, ne peuvent se permettre d'embaucher une aide domestique et ont peu de chances d'accéder à des services de garde subventionnés par l'Etat. Quant aux transports en commun, ils sont très peu disponibles en dehors des grands centres urbains. Pour les ouvrières habitant souvent dans des banlieues pauvres et éloignées des centres économiques, des transports en commun irréguliers et peu sécuritaires (au plan de leur intégrité physique) représentent des obstacles majeurs à leur accès à l'emploi. Outre le «plafond de verre» qui limite la promotion professionnelle des femmes, le fossé existant en matière de rémunération entre les hommes et les femmes est encore significatif. Même si la législation en vigueur dans la plupart des pays de la région Mena interdit la discrimination salariale, elle reste de mise dans plusieurs secteurs, notamment privés. A cela s'ajoute le harcèlement sexuel, largement répandu sur les lieux de travail et rarement sanctionné, voire dénoncé par les victimes. L'ensemble de ces pratiques tend à acculer les femmes à une faible participation au marché du travail formel et les limite dans leurs choix professionnels. Les programmes d'ajustement structurels imposés aux pays en développement à la fin des années 80 ont-ils impacté le travail des femmes ? En effet, plusieurs études montrent que les politiques d'ajustement structurel viennent s'ajouter aux facteurs précédents pour ralentir les progrès des femmes en matière d'emploi, notamment dans le secteur public. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les pays arabes, à la demande de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, ont adopté des politiques d'ajustement structurel axées, notamment, sur une libéralisation des marchés intérieur et extérieur ainsi qu'une réduction de la fonction publique, qui était le principal pourvoyeur d'emplois pour les femmes dans la plupart des pays Mena, restreignant du même coup les possibilités de leur embauche, d'autant que le faible développement du secteur privé, dans la plupart de ces pays, n'a pas permis d'absorber cet excédent de main-d'œuvre.