La belle saison s'écoule paisiblement, pas d'orage qui pointe à l'horizon, ces quelques jours de chaleur intense ont laissé place à une température plus agréable. Le thermomètre n'aimant certainement pas les grandes altitudes, il redescend vite chaque fois qu'il grimpe pour se stabiliser à un niveau plus bas que d'habitude, pour cette période d'aoussou. Dans une atmosphère empreinte de quiétude et de sérénité, nous recevons notre sixième diva; elle est bien différente des autres, plutôt singulière en toute chose. Découvrons-là sans tarder. Zohra, le joyau de l'oasis Zohra est gabésienne, bien qu'originaire de l'extrême-sud, sa famille s'est établie à Gabès depuis plusieurs décennies. Quand elle est née, Gabès était caractérisée par une grande diversité ethnique et culturelle. Notre diva a toujours vécu dans un nouveau quartier surplombant le menzel (caravansérail), une partie de la ville où effectivement faisaient halte les caravanes. Fruit d'un fécond brassage typiquement sudiste, Zohra est noiraude, c'est-à-dire qu'elle a le teint noir. Le noir, quelle belle couleur ! Nous l'aimons à la folie, elle évoque en nous les yeux de jais de nos belles dulcinées et le khôl qui accentue la noirceur de leurs paupières. Nous n'appelons pas tout ce qui est noir akhàl, couleur du khôl? En grandissant, la petite Zohra a muté en une giroflée bien entretenue et bien suivie par sa mère Aïcha, suivant l'air populaire qui était en vogue en ces temps, comparant les noirs à des giroflées plantées dans des pots embellissant des jardins haut en couleur (mahbès qoronfel fi j'nen erroumi. Zohra vient de prendre une retraite bien méritée après avoir servi pendant de longues années comme professionnelle de santé. Etant libre de toute charge publique, elle se consacre désormais uniquement aux siens, sa progéniture étant éparpillée entre la Tunisie, la France et l'Italie. Elle ne pense plus qu'à ses enfants, traduisant sa pensée en gestes, elle les gratifie de temps en temps de quelques petits mets parmi ceux qui ont marqué leur enfance. Mais pour bien sceller leur appartenance à leur terroir, malgré les distances, elle leur prépare, chaque été, les deux condiments qui singularisent la cuisine gabésienne des autres cuisines de Tunisie. Les h'war, un condinent composé et surtout le h'rouss gabésien, le délice des délices. Si les h'war, tenant à la fois du tâbel tunisien et du massala indien, le h'rouss de Gabès est, nous semble-t-il, unique en son genre. Zohra, qui veut dire fleur, le confectionne en deux temps; elle commence au début de l'été par couper en rondelles la quantité voulue d'oignons secs qu'elle laisse reposer pendant les trois mois que dure la belle saison. Puis, quand les piments deviennent rouges, elle les fait sécher sous le soleil de la fin de l'été que nous appelons qouêl erromane (canicule des grenades), un soleil de plomb. Quand le piment devient sec, Zohra le fait moudre et le mélange avec l'oignon déjà à point, bien arrosé d'huile d'olive, le mélange prend la forme d'une pâte bien rouge... Il est le condiment obligé de tout plat gabésien. La grande famille de Zohra, chacun ayant eu sa part, l'utilise pour faire survivre la grande tradition oasienne qui offre à Gabès, outre ses belles grenades, la possibilité de rivaliser avec les cuisines les plus attrayantes chez nous et à l'étranger.