Ah ! Quelle joie de renouer avec de délicieux moments de repos après une année de labeur. Durant toutes ces journées chaudes et ces soirées fraîches, nous nous adonnons à un délassement sans remords, profitant d'une accalmie sur tous les fronts. Les spécialistes de la modernité ont appelé le temps qu'on s'offre à soi-même pour l'occuper à sa guise de temps libre. Certains passent leur temps libre à se chicher (fumer la chicha) ou à jouer d'interminables parties de cartes. La gent féminine, encore largement exclue des jeux dans l'espace public, se cantonne chez elle, dans l'espace privé, pour pratiquer ses propres jeux… Les aînées, celles qui nous ont procréés, n'ont pas la liberté de disposer de leur temps, une non-liberté librement choisie, elles sont dévouées corps et âme à leur famille et à leurs proches. Ce sont elles qui sont en droit de mériter leur surnom élogieux et flatteur de divas de la belle saison. Elles ont un côté cigale, car, malgré leurs lourdes tâches, elles trouvent toujours un laps de temps pour festoyer et chanter. Elles sont surtout fourmi parce que, tout en savourant les joies des retrouvailles estivales, elles ne cèdent jamais à la rigueur des journées froides, auxquelles elles se préparent à temps. Elles sont les gardiennes du temple, celui de notre héritage culinaire qui maintient et perpétue notre civilisation tunisienne. Mais elles sont humbles et discrètes; nous allons dans cet espace dédié à elles donner la parole à quelques-unes, tout en nous inclinant et nous prosternant avec un extrême respect aux pieds des autres. Commençons par la première. Malika, la reine des épices Malika est kélibienne racée, elle fait partie de ces espèces de femmes répondant au canon de beauté de la société traditionnelle. claire de peau avec du rose sur les joues, ce qui trahit une bonne ascendance, le regard vif et le pas alerte, elle porte merveilleusement bien sur des épaules robustes ses soixante ans passés. Son parcours culinaire est riche, ayant vécu longtemps dans la capitale Tunis, la richesse de son savoir-faire ne l'a pas empêchée de rester puriste dans ce qu'elle considère comme un legs maternel à préserver, le tâbel composé, ou tâbel tout court. Suivons-là. Malika prend un saâ (disons 3 à 4 kg) de coriandre en grain de la récolte de l'année, et 1kg de carvi (carwya), elle leur ajoute 500‑g de bsàl sifi (oignon sec), c'est du jamais vu! Une botte d'ail, du piment rouge encore frais (encore une nouveauté). Elle met la coriandre, l'oignon et le carvi ensemble pour une nuit afin que la coriandre absorbe l'humidité de l'oignon; bien entendu, les gousses d'ail séjournent dans ce mélange avec leur pellicule. Puis le piment, ou le cas échéant le poivron (doux) coupé en deux, est séché avec le reste des ingrédients au soleil pendant une semaine. Encore un petit nettoyage. La préparation est prête pour une mouture dans un moulin public (tahouna), ce petit chef-d'œuvre qui peut être conservé dans un pot en verre, ou en grès, est distribué aux enfants et à leurs amis, pour les provisions de l'année, il réchauffera les plats d'hiver du cercle élargi des inconditionnels de Malika.