Le monde entier a les yeux rivés à New York. Aux abords de l'East River, se trame une séquence fondamentale de la politique contemporaine. Américains, Européens de l'Ouest et quelques pays arabes du Golfe d'un côté, Russie, Chine, Iran et Syrie, de l'autre. Dans son discours, avant-hier, à la tribune de la 70e session de l'ONU, le président russe Vladimir Poutine a dit notamment : «L'exportation des soi-disant révolutions démocratiques continue. Les révolutions dans les régions du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord sont des problèmes majeurs...Les gens voudraient des changements mais comment cela s'est-il déroulé ? Est-ce que vous comprenez ce que vous avez fait ? Au lieu du triomphe de la démocratie, nous voyons la violence et le désastre social, personne ne pense aux droits de l'Homme, y compris le droit à la vie... Daech n'est pas venu de nulle part, c'était tout d'abord un moyen de lutter contre des régions profanes indésirables. Au début, ils étaient circonscrits à l'Irak et la Syrie, mais maintenant ils tâchent de dominer l'intégralité du monde islamique. Il est hypocrite de parler de menace terroriste internationale en fermant les yeux sur la manière dont ces terroristes reçoivent de l'aide. Il est tout aussi mauvais d'essayer de recruter ces groupes dans un but politique, pour ensuite se débarrasser d'eux... Seuls les troupes gouvernementales syriennes et les Kurdes combattent réellement Daech et les autres groupes terroristes.» A l'issue d'une rencontre plutôt glaciale avec le président américain, Barack Obama, le chef du Kremlin a savouré un moment de gloire. Les sympathies de l'opinion internationale penchent plutôt de son côté. Il faut dire que les désastres successifs, depuis 2001, des Américains et des Nord-atlantiques en Afghanistan, Irak, Libye et Syrie ont fini par aiguillonner les consciences les plus molles. De sorte que tout le monde, ou presque, souscrit désormais à la fameuse sentence de Dominique de Villepin en 2013 : «Daech est l'enfant monstrueux de la politique occidentale». Et nous dans tout cela ? Bien que nous soyons mêlés de près aux affaires libyennes et syriennes, la diplomatie tunisienne brille par son mutisme effarant. Tout se joue presque dans nos murs, mais par-dessus nos têtes. Certains de nos politiciens avaient encouragé l'enrôlement de nos jeunes dans les rangs des terroristes en Syrie; ils en constituent le plus grand nombre parmi plus de quatre-vingts nationalités; la Tunisie s'était empressée d'accueillir à bras ouverts ledit congrès des amis de la Syrie; nous subissons dans notre chair, via un terrorisme désormais endémique, les contrecoups pervers du renversement par l'Otan du régime libyen de Kadhafi... Et pourtant, maintenant que les vents ont tourné, nous n'avons point voix au chapitre. Les pourparlers de paix interlibyens ont bien lieu en Algérie, au Maroc et en Suisse. Nous avons sur le dos tous les protagonistes du drame syrien. Et nous risquons bien de comparaître devant la justice internationale en tant que pays fauteur de troubles en Syrie. Notre ministère des Affaires étrangères oscille entre l'état pré-comateux et la somnolence chronique. Notre visibilité à l'extérieur est presque nulle. Tout au plus assistons-nous en comparse désobligeant au concert des nations. A force de perdurer dans l'indifférence générale de toute la classe politique, notre profil diplomatique frise le ridicule pathétique. Certes, la politique étrangère est du ressort du président de la République. Toujours est-il que le gouvernement a voix au chapitre. Et c'est un secret de Polichinelle que de dire que le chef de l'Etat désapprouve d'une manière non déguisée l'(in)action du ministre des Affaires étrangères. Mais les arcanes de la politique politicienne ont leurs secrets. On préfère laisser traîner plutôt qu'agir. Au risque d'hypothéquer, à long terme, notre crédibilité internationale. Avec les effets immanquables pervers à l'interne. Comprenne qui pourra.