Les enquêtes montrent à quel point la crise de l'emploi menace de plus en plus l'économie nationale. L'ultime objectif est de tracer, dès maintenant, les contours d'une stratégie de promotion professionnelle d'ici 2020 Neuf mois ou presque après la prise de ses fonctions au sein du gouvernement Essid, M. Zied Laâdhari, ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, a commencé, paraît-il, à découvrir les dédales de son département. Il pense maintenant à remettre de l'ordre dans la maison pour passer à l'action. Cela consiste à pousser à fond les réflexions sur une nouvelle stratégie nationale de l'emploi au cours du prochain quinquennat 2016-2020. Cinq ans durant, son ministère va se tourner vers la gestion d'un assez lourd dossier qui n'a jamais, au fil des ans, été pris au sérieux. Sous nos cieux, s'intégrer dans la vie active relève d'un miracle, alors que ceux souhaitant s'installer à leur propre compte se perdent à mi-chemin, sous le coup de la bureaucratie. Notre économie en crise n'a que très partiellement profité à une jeunesse plus souvent tentée de plonger dans le filet social des emplois publics et insuffisamment formée pour répondre aux besoins du secteur privé. A vrai dire, c'est un fléau persistant qui touche une catégorie majoritairement jeune dont la tranche d'âge varie entre 15 et 29 ans. Et les trois quarts d'entre eux travaillent au noir, dans les circuits mafieux de l'économie informelle. Autre constat plus alarmant : quelque 95 mille jeunes tunisiens de moins de 19 ans ne sont ni à l'école ni en formation professionnelle. Toutefois, chiffres à l'appui, l'on trouve 25 mille postes d'emploi vacants dans les petits métiers, et plus particulièrement dans le secteur de l'artisanat. C'est du moins la conclusion de trois grandes études menées conjointement par le ministère de tutelle et l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la jeunesse, le chômage et l'emploi décent en Tunisie. Cet état de fait a été ainsi passé en revue au cours d'une journée de réflexion organisée, vendredi à Gammarth, sur « la jeunesse tunisienne face aux défis de l'emploi ». Plus qu'une question qui fait toujours débat, l'emploi est, de tout temps, la bête noire des gouvernements. Place aux réformes A l'ouverture des travaux, M. Zied Laâdhari a promis monts et merveilles. Pour lui, la création de nouveaux emplois exige forcément des réformes radicales. Car, a-t-il déclaré, accorder des primes aux chômeurs n'aura qu'un effet antalgique, n'apportant à ce mal social que des calmants éphémères. Mais loin de l'éradiquer à la racine. Et rebelote ! La crise frappe de nouveau. Y a-t-il une solution idéale à ce phénomène qui ne date pas d'hier ? La réponse est bel et bien politique et doit plutôt incarner un esprit du changement. Et c'est ce qui nous manque aujourd'hui, bien que ce contexte révolutionnaire ne tolère guère un tel désengagement. Au point de voir le dossier de l'emploi faire du surplace, au moment où les demandes supplémentaires s'amplifient de plus en plus, dépassant actuellement les 800 mille postulants. Un pic qui tape fort sur les nerfs des diplômés chômeurs, déjà réunis en union dont le chef de file, Salem Ayari ,semble aller jusqu'à un point de non retour. Pas plus tard que jeudi dernier, la veille de ladite journée, ces jeunes sans-emploi ont manifesté sur l'esplanade de La Kasbah, en protestation contre un gouvernement aux abonnés absents. Ils voulaient lancer un message au ministre de la Formation professionnelle et de l'Emploi, afin de leur trouver des solutions. Le ministre ne devrait pas prendre leur menace d'escalade à la légère. Plus que jamais, une nouvelle stratégie d'emploi s'impose comme une manière de réconciliation avec cette catégorie à la merci de tous les caprices et longtemps en marge de toute œuvre de développement national. Et si l'on estime qu'il y a eu, autrefois, une certaine croissance dynamique, ses fruits n'ont pas été équitablement répartis. Autre motif d'inquiétude, l'allongement de la durée du chômage des diplômés. Crise témoignée En témoignent ces trois études en question qui viennent mettre en lumière les conséquences de la crise sur l'emploi des jeunes. Elles s'articulent autour des thèmes suivants : «La jeunesse tunisienne et l'emploi au sein de l'économie non structurée », « La transition de l'école vers la vie professionnelle », ainsi que « L'évaluation des politiques d'emploi adoptées en Tunisie de 1987 jusqu'en 2014 ». Près de trente ans passés déjà, sans que cette problématique ne soit définitivement résolue. C'est que depuis l'aube de l'indépendance, l'emploi n'a pas fini de figurer à l'ordre du jour de l'action des gouvernements. Pourtant, on avait consacré à l'emploi des fonds colossaux et d'importants budgets annuels. Il y a là une vérité qui dérange : un manque de formation, mais aussi la faillite de l'école qui est d'ailleurs largement mise en cause pour expliquer l'impréparation de la jeunesse aux défis de cette économie de crise. Ce qui nous amène à dire que notre système éducatif ne répond plus aux besoins réels de l'entreprise. Entre l'offre et la demande, l'adéquation est bien difficile. Plus encore, l'abandon scolaire précoce, l'absence de la protection sociale et la saturation de la fonction publique n'ont pas manqué de forcer le recours de nos jeunes de moins de 25 ans à l'économie informelle. Une économie, explique Jacques Charmes, expert consultant auprès de l'OIT, qui n'est pas nécessairement celle de la contrebande, étant donné qu'elle implique également le travail au noir dans des entreprises dont les employés ne sont pas enregistrés auprès des caisses de sécurité. Les difficultés sont légion L'on parle, ici, de l'emploi dit précaire. Comment y venir à bout ? Ainsi s'intitule le premier panel de la journée de réflexion. Le chômage et le sous-emploi des jeunes constituent un défi redoutable posé aux pouvoirs publics et partenaires sociaux. Non sans un coût social et économique exorbitant qui menace le tissu social dans ce contexte de transition. Cet état des lieux, critiqué par les différents intervenants, mérite d'être repensé, en vue d'en identifier les principales causes. Ainsi et dans le cadre du projet «Appel à l'action sur la crise de l'emploi des jeunes en Tunisie», financé par le gouvernement Italien, et le projet «Emplois décents pour la jeunesse tunisienne » financé par la Coopération danoise au développement (Danida), les efforts se sont concentrés pour lutter contre le sous-emploi des jeunes et l'amélioration des conditions de travail des jeunes tunisiens. Cela s'inscrit dans le cadre de la mise en place de la feuille de route du contrat social (2012 - 2020) et de l'élaboration de la future stratégie nationale de l'emploi. Autre question liée à la crise : la transition à la vie active. Malgré le taux élevé de scolarisation, la plupart des jeunes exercent des métiers peu qualifiés, faisant toujours face à autant de difficultés pour intégrer le marché du travail. Cependant, l'enquête y afférente montre que plus de 95 mille jeunes moins de 19 ans ne sont ni à l'école ni en formation. Pourtant, 25 mille postes d'emploi vacants dénichés existent dans le secteur de l'artisanat. Ce paradoxe donne à réfléchir sur l'étendue de cette crise. L'observatoire national de l'emploi et de la qualification au ministère de tutelle en est bien conscient.