C'est la plus brûlante, la plus trépidante de nos musiques. Version mahdoise, plus spécifique, le plaisir est certifié. Les «hadhras» pullulent sur les scènes tunisiennes; muées en spectacles, de moins en moins en rapport avec les rituels soufis. Au regard du grand public, le divertissement est prioritaire. Pour les connaisseurs et les puristes, il y a dérive. «Le profane ne peut subvertir le sacré». Des résistances persistent, malgré tout. On garde en mémoire les excellentes tentatives de «Mûsîqat» et de «L'Octobre musical». Lotfi Bouchnaq, dans «Sollah bledi» et Ziad Gharsa, dans une version peu diffusée d'une apologie du «rassoul», réussirent, eux aussi, une bonne synthèse entre création libre et éthique de «La tariqa» Le concert de la troupe Nawaress El Aïssaouia de Mahdia, programmé ce samedi à l'Acropolium de Carthage, semble devoir s'inscrire dans cette lignée. Ceux qui y veillent, d'abord, appartiennent à la bonne élite de la ville. Mélomanes, férus de patrimoine, passionnés de traditions. Telle la jeune doctoresse Samia Ben Zineb qui a pris à sa charge tous les coùts, et qui aura contribué à la conception même du projet. Il y a, ensuite, que le spectacle proposé sera doublement spécifique. Spécifique à la seule «Aissaouia» ; aucun mélange avec les autres «hadhras», ce qui est la pire «confusion» infligée aux chants des confréries. Spécifique, surtout, à la «Aissaouia» de Mahdia qui, à part les fondamentaux communs, se distingue par ses propres usages, son propre style et ses propres «expressions». Nous allons donc vers une représentation sobre et authentique. Erudite, peut-être, mais en aucun cas légère ou débridée. La troupe Nawaress, enfin, présente des garanties de sérieux et de qualité. Fondée en 1994 par feu cheikh Adel Zouali et par le cheikh Ali Hamza, elle est, actuellement, une des rares troupes respectant les règles rythmiques des noubas et pouvant ressortir des noubas très anciennes, passées dans l'oubli. Au surplus, c'est une troupe composée de musiciens et d'une chorale appartenant à deux générations. Ziad Hamza, le «ksaidi», étudiant, est le fils du cheikh el Hadhra Med Ali Hamza ; Amine Baklouti, au bendir et son frère Ali, choriste, sont les neveux du cheikh ; Ahmed Baklouti, également étudiant, est le neveu du cheikh Adel Zaouali, fondateur de la troupe. Chaînes de filiations, dans les arts de la tradition, la transmission est ainsi assurée. L'ensemble, samedi, sera composé de 5 bendirs,3 darboukas (différence avec la Zaouia mère d'El kallaline où ce sont «le tar» et les naghrat) 1 zokra, 1 tbal,1 ksaidi, 4 porteurs de «snajeq», filles et garçons étudiants. Le programme : 5 noubets et les tableaux de transes typiques du final de la «Hadhra Issaouia». On ne sait si la Aissaouia complète sera présentée (partie ahzebs et bouhours et partie «amal», chants, danses et transes. On ne sait, non plus, si la Aissaouia de Mahdia pratique la distinction «Mjarred» (accompagnement des mains) «Chichtri» et «Brawel», celui-ci annonçant par «la levée des adeptes» (essaf) le «khammari» qui clôt la soirée. En tout état de cause, la «Aissaouia» est la plus brûlante (harraqa) et la plus trépidante de nos musiques, outre que la plus codifiée en alignements, en danses et en chants. C'est elle qui a le plus «tunisifié» notre malouf moresque et donné son identité à notre chanson. Plaisir certifié !