Sur le plan social, la Tunisie s'est classée à un rang élevé, notamment pour sa large base du système de protection sociale L'Association des responsables de formation et de gestion des ressources humaines dans les entreprises (Arforghe) et la Konrad Adenauer organisent, depuis d'hier et jusqu'à demain, la 10e édition du colloque régional maghrébin, portant sur «les enjeux socioéconomiques face à la législation du travail». L'événement est marqué par la participation d'une pléiade d'experts, venus des différents pays de la région maghrébine (juristes, consultants...) et des professeurs émérites (universitaires, sociologues...), réunis pour débattre d'un sujet au cœur de la réalité et en rapport avec la législation et les enjeux socio-économiques. Un thème qui est pour la Tunisie et le Maghreb d'une importance stratégique, et dont les experts ont tenté de clarifier les enjeux. «A l'heure où les entreprises du Maghreb, en quête de performance, cherchent à affronter un marché du travail perturbé par la concurrence, le souci de compétitivité ainsi que la libéralisation des échanges et la mondialisation, il est pertinent de comprendre que ce marché est tributaire de la dynamique économique et de la pression sociale dans les pays concernés. Si cette dynamique économique s'inscrit dans un environnement incertain et mouvant, il s'agit d'adapter l'emploi aux besoins économiques, technologiques et environnementaux et d'impulser une flexibilité du marché du travail», explique M. Ridha Boukraa, sociologue tunisien. Compte tenu de cette réalité, il serait impératif de réviser la législation du travail dans les pays concernés afin de relever les nouveaux défis induits par la nouvelle situation. Dans le même ordre d'idées, il souligne que « le monde vit à la fois l'absence d'unification des législations du travail mais une mutation pour ne pas dire une crise ou un passage d'une configuration législative postmoderne ou néolibérale». Et d'ajouter que la législation est un facteur de régulation des relations humaines. Elle permet d'instaurer des règles de fonctionnement qui évitent la violence et gèrent le conflit. «C'est une règle générale qui favorise le passage de l'anarchie et du chaos à l'ordre sociétal», précisant que cette règle s'applique à la politique mais aussi aux transactions commerciales et aux échanges économiques dont le travail n'est qu'un cas de figure. D'un autre côté, le sociologue devait rappeler que l'Etat peut protéger les citoyens grâce à la solidarité sociale et intergénérationnelle. Il canalise le financement de la retraite, la sécurité sociale et l'assurance chômage à partir des impôts. Et faute d'obtenir des recettes fiscales suffisantes, il fait appel à la dette publique et privée. «Ce modèle fonctionne en période économique prospère mais se grippe en période de crise ou de mutation économique. D'où la nécessité des réformes et des politiques d'austérité pour les économies en crise. Ces réformes peuvent se heurter à l'obstacle de la législation du travail qui ne favorise pas la flexibilité du marché de l'emploi, c'est-à-dire à la facilité de l'embauche et de la débauche qui génère l'augmentation de la précarité du travail». Générateur de la valeur Le conférencier a dû montrer que le travail productif et ce qui en découle, syndicat et classe ouvrière se transforment ou régressent, indiquant que le travail n'est plus le générateur exclusif de la valeur, il est désormais concurrencé par d'autres formes d'activité qui échappent au droit et à la société et qui relève du marché et de la transaction marchande et spéculative. «On assiste à l'envahissement du droit de travail par le droit financier et le droit commercial, commerce et finance altèrent le fonctionnement du droit de travail parce qu'ils interviennent mondialement dans la chaîne de valeur. Commerce et finance transforment le travail en marchandise dont on s'efforce d'abaisser le coût pour permettre la compétitivité au niveau du marché mondial de l'entreprise», ajoute M. Boukraa. De son côté, Mme Monia Elafrit, professeur de droit public, précise que la Tunisie, emboitant le pas à plusieurs pays, a inscrit le droit au travail dans la constitution du 1er juin 1959. «Cette reconnaissance constitutionnelle du droit au travail a constitué le fondement juridique des différentes mesures prises par les pouvoirs publics tunisiens afin d'en garantir une véritable réjouissance». Dans le même contexte, la Tunisie a «longtemps été couverte de louanges par la communauté internationale pour ses performances remarquables». En effet, la situation budgétaire du pays était stable puisque la dette publique a baissé au cours des années 2000, « à parité avec d'autres économies émergentes comme l'Argentine et la Turquie». En matière de compétitivité, la Tunisie a été considérée «encore plus compétitive que certains pays européens comme la République tchèque et l'Espagne». Enfin, sur le plan social, la Tunisie s'est classée à un rang élevé, notamment pour sa large base du système de protection sociale. Mme Elafrit a souligné, par ailleurs, que la révolution qui s'est produite n'a pas été sans conséquences dans le domaine économique, puisqu'en juillet 2011, «la situation de ralentissement économique aurait produit environ 200.000 chômeurs supplémentaires. Le nombre des demandeurs d'emploi dépassait 700.000, soit plus de 19% de la population active». La guerre en Libye a aggravé la situation. En effet, outre les conséquences économiques, la Tunisie a eu à gérer le retour de près de 120.000 expatriés, désormais à la charge de leurs familles, notamment dans les régions les plus pauvres. Au regard de la situation en matière d'emploi, un plan d'urgence a été mis en place par le troisième gouvernement provisoire. Il a été reconduit par le quatrième gouvernement transitoire. «Il est certain que la révolution tunisienne a nécessité la construction du système politique pour mieux assurer les droits de l'homme. Dans cette perspective, la constitution devrait jouer un rôle important, non seulement sur un plan matériel, en regroupant les principes du nouveau régime, mais aussi sur le plan formel en tant que texte juridique situé au sommet de la hiérarchie des normes».