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Islam politique, démocratie, la guerre des projets
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 12 - 2015


Par Hédi Ben Abbes (*)
Il convient de rappeler rapidement les principales motivations qui expliquent, du moins en partie, le ravage que fait Daech dans l'esprit et le corps d'une frange de notre jeunesse tunisienne. Il s'agit de trouver une réponse aux multiples misères qui accablent une bonne partie de cette jeunesse, à savoir misère économique, misère sociale, misère sexuelle, perte de sens, soif idéologique et absence de projet. Si les cinq premiers éléments sont évidents, le sixième, le projet, mérite que l'on s'y attarde pour mieux comprendre le phénomène, d'un côté, et notre responsabilité collective, de l'autre.
Sans vouloir remonter à la genèse de l'islam politique, nous allons nous contenter d'expliquer, autant que faire se peut, la fulgurance de ce phénomène depuis le soulèvement populaire de décembre 2010-janvier 2011 en Tunisie. Le phénomène est enraciné en Tunisie de manière organisée depuis les années soixante. Il a été traité de manière à la fois sécuritaire et politique du temps de Bourguiba. Avec Ben Ali, tout en accentuant le traitement sécuritaire à tous les niveaux d'ailleurs, le phénomène a été utilisé comme un levier de pouvoir pour justifier aux yeux du monde entier sa politique de répression. Ben Ali nourrissait l'islam politique tout en essayant de le contenir dans des proportions gérables. Comme une épidémie qu'on laisse se propager ou se résorber en fonction des enjeux politiques.
Islamistes, communistes, démocrates, tous étaient soumis aux mêmes diktats sous l'autorité d'un régime dictatorial où l'arbitraire était érigé en mode de gouvernement. Toutes ces forces qui traversaient le corps social et politique gisaient terrées, au propre comme au figuré, sous la chape de plomb de la dictature. Tous faisaient le dos rond en attendant des jours meilleurs.
Au départ du dictateur et à l'instant même où la chape de plomb a été enlevée, tous ces courants politiques et idéologiques ont refait surface pour livrer une véritable bataille politique qui prend aujourd'hui l'allure d'une guerre.
Pour le besoin de la simplification, on peut affirmer qu'à l'instant même où ces courants ont recouvré leur liberté de mouvement, d'expression et d'action, chacun d'entre eux a tenté de rallier le maximum possible de personnes autour de son projet non pas à côté des autres projets mais plutôt en opposition nihiliste.
Pour faire court, on peut dire que d'un côté il y avait le projet démocratique à construire et de l'autre le projet islamiste. J'emploie ce terme islamiste sciemment car durant les années post-soulèvement, toutes les mouvances qui revendiquaient l'Islam comme fondement idéologique avaient le même projet politique et sociétal. Des nuances ont par la suite vu le jour entre les différentes factions mais cela n'est pas le propos. Contentons-nous pour l'heure de souligner l'importance du clivage entre le projet islamiste d'un côté et le projet démocratique de l'autre. Le salafisme se présente comme porte-étendard du projet islamiste dans sa forme la plus radicale et la plus violente (application dogmatique et littérale de la charia, dissolution de l'Etat au profit de la Oumma, purification éthico-religieuse). Une véritable course contre la montre s'était engagée depuis 2011 pour occuper tous les espaces à la fois publics et privés (rues, mosquées, espace virtuel, associatif, politique, social, économique, administratif, etc), rien ni personne n‘a été épargné. L'émergence d'Ennahdha comme acteur quasi exclusif de la scène politique en cette période a favorisé cet envahissement des espaces. Nous avions donc d'un côté le projet islamiste qui, compte tenu de la quasi-unanimité autour de son référentiel commun, à savoir le Coran et la Sounna, n'avait pas de ce fait à faire ses preuves. De l'autre, le projet démocratique en devenir qui, lui, se devait de faire ses preuves pour convaincre de sa pertinence et de son utilité et répondre ainsi aux questions fondamentales qui traversent consciemment ou inconsciemment toute la société tunisienne. Et c'est là que le bât blesse et où réside la défaillance de « l'élite » politique dans le camp des démocrates.
Si, comme indiqué, le référentiel religieux n'a pas à démontrer sa pertinence et sa cohérence intrinsèque comme projet (que l'on y adhère ou non, là n'est pas la question) au vu de son encrage culturel et de ses préceptes, on ne peut pas en dire autant du projet démocratique qui lui est tout à fait nouveau et doit faire ses preuves pour gagner du terrain.
L'infléchissement du mouvement d'Ennahdha et son glissement progressif vers le projet démocratique sous la pression des circonstances nationales et internationales a fait bouger les lignes de démarcation. Le clivage entre projet islamiste et projet démocratique s'est quelque peu brouillé, ce qui a eu comme conséquence des tensions au sein du mouvement et a accéléré le basculement des salafistes vers des formes d'occupation des espaces de plus en plus radicales et violentes. Les prises de position officielles d'Ennahdha sur des questions aussi fondamentales que la nouvelle constitution, les institutions de pouvoir et de contre-pouvoir, le processus démocratique dans son ensemble ont obligé le mouvement à jouer aux équilibristes, sur une corde raide dangereuse aussi bien pour le mouvement que pour le pays.
De l'autre côté, le projet démocratique qui a tout à prouver est porté par une « élite » qui, le moins que l'on puisse dire, est défaillante tant elle n'a pas su formuler un projet cohérent et prometteur pour l'avenir. Rivalités, recherche de gain immédiat, opportunisme, inconscience des enjeux, manque de patriotisme, incompétence sont quelques-unes des multiples raisons qui ont affaibli le projet et provoqué la désillusion de la population et surtout de la jeunesse. En effet, cette jeunesse qui n'a connu que la marginalisation pendant plusieurs décennies, à qui on a promis monts et merveilles avec l'avènement du projet démocratique, n'a eu droit qu'à la vacuité des discours, à la roublardise, à la médiocrité de ceux-là mêmes qui sont censés promouvoir la démocratie. Le véritable enjeu est cette jeunesse qui ne demande qu'à croire à un projet qui leur ouvre les horizons et leur donne des motifs d'espérer. Une jeunesse convoitée par les uns et les autres et qui est susceptibles de basculer d'un côté comme de l'autre étant donné l'urgence d'occuper l'espace laissé vacant par la dictature et le besoin naturel de croire dans un projet, qu'il soit d'essence religieuse ou moderniste.
D'un côté, on promet la gloire sur terre, la puissance, l'argent, les plaisirs de la chère tout en « servant Allah » et le paradis éternel, des arguments facilement assimilables par une jeunesse accoutumée à ce genre de rhétorique. De l'autre côté, le projet démocratique d'essence universaliste peine à voir le jour et à porter ses fruits pour des raisons à la fois endogènes et exogènes. Les raisons endogènes gravitent autour de la défaillance de « l'élite » politique, de la conjoncture économique qui s'y rattache et des violents rapports de force parmi les forces vives du pays. Les raisons exogènes tournent autour du fait que l'espace culturel dans lequel le projet démocratique est censé s'inscrire reste jonché d'obstacles. L'hostilité de certains pays dits « frères et amis», l'Occident dont les portes restent ostensiblement fermées, la Méditerranée transformée en cimetière, expliquent en partie les difficultés qui ont empêché cette jeunesse d'y croire. Une jeunesse qui semble dire aux Occidentaux, nous voulons épouser vos valeurs dites universelles, et partager avec vous le même espace culturel et politique, mais vous nous claquez vos portes aux nez et vous nous obligez à nous rabattre sur les promesses du premier charlatan venu. Tel est le message reçu par cette jeunesse en quête de sens et de projet. Rien d'étonnant alors qu'elle change de destination et qu'elle se tourne vers cette nouvelle terre promise, la terre de Daech. Le projet y est concret et les promesses y sont vérifiables immédiatement. Dans cet espace transfrontalier et lisse (pour emprunter le concept deleuzien) on peut assouvir tous les besoins la conscience tranquille en prime.
Tant que les dividendes de la démocratie ne sont pas perceptibles, tant que notre « élite » politique continue à décevoir et à offrir le spectacle de son incompétence, le projet Daech continuera à être attractif et à séduire une jeunesse en mal de projet et d'idéal. Le temps joue en faveur des vendeurs d'illusions, des marchands de mort. La responsabilité de « l'élite » du pays est grande. Elle doit apporter des réponses aux multiples questions qui se posent au pays dans son ensemble. Quel projet de société et quel modèle nous voulons ? Quelle orientation économique et quel projet politique ? Quelle vision pour la Tunisie de demain ? Tant de questions dont la seule réponse que nous avons eue à ce jour est l'immobilisme, la mollesse dans l'action et l'improvisation.
Il y a des évidences qu'il faudrait admettre. L'évidence de l'obsolescence des « solutions » proposées à ce jour. Nul ne peut ignorer les éléments de base dans le traitement d'un problème aussi grave que celui du terrorisme. Tout d'abord le projet alternatif pour le pays, l'accélération du processus démocratique et l'accomplissement de la construction des institutions. Quand on a une majorité aussi confortable, les réformes les plus courageuses et les plus fondamentales doivent être mises en œuvre rapidement. Parmi lesquelles, la réforme de l'Etat doit être une priorité absolue (voir mon article Réconcilier le Tunisien avec l'Etat, La Presse, le 17 novembre 2015).
Quant au problème du terrorisme, un plan stratégique incluant le court, le moyen et le long termes doit être mis en place et dans lequel trois éléments de base doivent être rigoureusement organisés. Le cadre juridique comprenant tout l'arsenal judiciaire à mettre en place. Le cadre opérationnel qui ne peut être efficace qu'après une refonte des structures, des systèmes et des procès de travail dans tous les appareils de sécurité. Troisièmement, le préventif qui nécessite la prise de mesures à court, long et moyen terme. Je prends à ce propos un seul exemple, celui de l'absolue nécessité de mettre un terme à toutes les activités, en dehors du cadre régi par l'Etat, des crèches et des écoles coraniques, où se fabriquent aujourd'hui les talibans de demain.
Sans la restructuration qui nécessite un courage politique, sans la formation pour professionnaliser les méthodes de travail de nos forces de sécurité, sans une coopération internationale en matière de renseignement, l'équipement de sécurité qui semble être l'obsession du gouvernement, n'aura aucune efficacité.
Il y a des évidences qu'il faudrait prendre en considération. Notre système de sécurité a été taillé sur mesure pour servir la dictature et rien que la dictature. Le changement de République, la volonté de mettre en place un système démocratique respectueux des institutions et des droits de l'Homme, le refus de l'arbitraire nécessitent des changements radicaux dans l'ensemble des institutions. C'est dans la somme des réformes accomplies que réside la véritable révolution.
Du législateur au gardien de prison, tous doivent adapter leurs structures et leurs méthodes de travail au nouveau cadre constitutionnel. Pour se faire, volonté politique, volonté de réforme, compétences et professionnalisme doivent être indiscutables, loin de tout calcul électoraliste. A ceux qui par ignorance ou par naïveté appellent au retour de Ben Ali et de ses méthodes, il faudrait qu'ils apprennent à devenir responsables et sortir de la logique du peuple enfant à la recherche de fausses solutions de facilité et de l'homme providentiel. Chaque Tunisien se doit d'agir comme un Homme providentiel et doit contribuer, à sa manière, à l'élaboration du nouveau projet pour le pays et consentir à payer le prix des libertés à venir et de l'Etat de droit à construire. La bataille est d'abord politique et institutionnelle avant d'être une bataille de moyens militaires. Il convient de rappeler la fameuse citation de Benjamin Franklin : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. »
(*) Universitaire et dirigeant d'entreprise


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