En plus de ses multiples aptitudes, Tahar Haddad était syndicaliste au sens noble du terme, désintéressé et constructif, à une époque où le syndicalisme était associé aux prémices du mouvement national et du patriotisme En commémoration de la mort de Tahar Haddad quatre-vingts ans après, un colloque a été organisé au centre de Tunis, mardi dernier. A l'honneur sa pensée, son œuvre, son héritage et sa courte vie. Une pléiade d'universitaires et de chercheurs réunis tous, l'espace d'un jour, comme pour tenter de cerner cet esprit brillant qui a marqué de son empreinte l'histoire de la Tunisie. Le Centre de recherches, d'études, de documentation et d'information sur la femme (Crédif) a organisé le colloque avec le concours de la fondation Hanns Seidel. Mme Dalenda Largueche, directrice générale du Crédif, en présentant « cette figure du réformisme tunisien, tout autant qu'interprète moderne de l'islam », a ajouté en substance que si les intellectuels tunisiens l'ont réhabilité et avant eux Bourguiba, par sa phrase célèbre, « c'est Tahar Haddad qui avait raison et ses adversaires avaient tort », l'Etat tunisien a été en quelque sorte absent de ce processus de reconnaissance posthume. Plusieurs cordes à son arc, Haddad était journaliste, penseur, essayiste, diplômé de la Zitouna, il était bel orateur et exerçait le métier de notaire. Le colloque semble avoir été l'occasion aux institutions de réparer un tort. Raoudha Mechichi, en sa qualité de conseillère juridique auprès de la présidence de la République, annonce l'attribution du président de la République de la légion d'honneur au défunt. Dans le même ordre, le chef de cabinet du ministre de la justice, Lotfi Hachicha, déclare que la réhabilitation « symbolique » de Haddad dans le notariat a été effectuée et sera annoncée dans le Journal officiel. Au cours des trois séances présidées respectivement par Hedi Jallab, Jalila Tritar et Amel Grami, des thèmes historiques, hautement philosophiques ou juridiques sont présentés par les intervenants, comme « les fondements philosophiques de la pensée de Tahar Haddad », ou encore « la pensée de Tahar Haddad et la jurisprudence tunisienne en matière du code du statut personnel ». Un excellent docu-fiction signé par Hajer Ben Nasr est diffusé. L'on découvre à travers des séquences scénarisées ce que l'on sait déjà; l'un des pionniers du modernisme tunisien ne pouvait s'asseoir dans un café ou marcher dans la rue sans être agressé, hué par les enfants. Il est mort très jeune, la trentaine passée, dans la solitude et l'indigence, la scène de son enterrement est terrible. Ce documentaire avec l'intervention émue et brève se limitant à quelques mots de gratitude du neveu, Mohamed Hédi Haddad, invité à la tribune, ont jeté sur l'ambiance un voile de tristesse. Le réformiste social En plus de ses multiples aptitudes, Haddad était syndicaliste au sens noble du terme, désintéressé et constructif, à une époque où le syndicalisme était associé aux prémices du mouvement national et du patriotisme. « A travail égal salaire égal », prêchait-il. Les cheminots tunisiens étaient à l'époque moins payés que les Français et moins que les Italiens et les Maltais. D'où son livre, « Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical » publié en 1927. C'est par le combat syndical que Haddad a entamé son parcours de réformiste social pour bifurquer ensuite sur la question de l'émancipation de la femme en prônant, ô sacrilège, l'éducation des filles. Et, en fils prodige de la noble institution de la Zitouna, il se situe à l'intérieur des textes sacrés. Ses revendications prenaient toujours pour socle thématique une lecture « contextualisée » des textes scriptuaires. Démarche indiquant la quête des finalités « El Makassed ». Si la femme tunisienne bénéficie, in fine, de ce statut privilégié, c'est grâce à Haddad et à Bourguiba, essentiellement, et d'autres personnalités connues ou moins connues qui ont jeté les bases du mouvement féministe tunisien. Il reste que la dimension tragique continue d'investir le combat de Haddad, malgré les efforts déployés. Il aurait été préférable en plus de la réhabilitation posthume et très symbolique qu'il y ait une démonstration plus concrète à l'adresse de la famille connue pour être modeste. Le neveu Haddad semble encore porter sur les épaules la tragédie de son oncle. Si Tahar Haddad portait la chéchia stambouli dans le seul portrait qu'on a de lui, et le neveu porte ce jour-là la chéchia tunisienne, la même mélancolie semble réunir l'oncle disparu et le neveu contemporain. Et il semble, à le voir ainsi humble et reconnaissant malgré tout, que justice n'ait pas été totalement rendue. D'où le malaise.