Lorsque, devant un auditoire enthousiaste, M'hamed Ali exposa sa théorie de la coopération entre les secteurs économiques, à la salle de la Khaldounia, le 23 juin 1924 il était convaincu que la création de coopératives de consommation, de crédit et de production, était le seul moyen de s'en sortir, aussi bien pour les ouvriers que pour les paysans et les fonctionnaires c'est-à-dire tous ceux qui n'ont pas de grands capitaux. Ces coopératives étaient des sociétés d'entraide notamment dans le domaine commercial, industriel et agricole où les actionnaires seront des ouvriers qui placeront ce qu'ils ont comme capitaux, même si pour la plupart ceux-ci étaient faibles, afin de les faire fructifier à l'unisson. Ce fut dans ce but qu'un comité provisoire a été élu en juillet 1924 en vue de collecter les actions de la part des ouvriers, fixées à 100F pour chaque ouvrier qui devait s'en acquitter en quatre tranches. Les bénéfices devaient être repartis entre tous les actionnaires de manière équitable. En fait M'hamed Ali était influencé par le courant réformiste de l'époque, notamment des jeunes Zeïtouniens dont Tahar Haddad. Celui-ci dans son ouvrage. "Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical", considérait qu'il n'y avait pas lieu, à l'époque, d'envisager comme ce fut le cas en Europe une lutte de classes. Il n'y avait un système économique où on pouvait parler d'employeurs et de salariés "Le conflit majeur, dans notre société n'est pas entre salariés et patrons mais entre emprunteurs et usuriers" affirmait-il dans son ouvrage précité. Il n'y avait pas lieu d'inciter à un soulèvement des ouvriers. "Les prémices de cette révolution qu'il est possible de préparer en semant l'esprit révolutionnaire, n'existent en aucune manière aujourd'hui dans le royaume tunisien, qui n'a pas adopté jusqu'ici la forme d'évolution sociale européenne en matière de développement de la richesse...". Tahar Haddad considérait qu'il n'y avait pas de contradiction entre artisans et patrons. Le conflit étant entre le peuple colonisé dans son ensemble et les autorités coloniales. Partant de cette idée exprimée par Tahar Haddad, qui n'était que conforme à la réalité, du système économique de l'époque, M'hamed Ali avait préconisé, préalablement à la formation d'un syndicat, de prémunir les travailleurs de garantie, par la création de coopératives leur permettant une certaine sécurité économique. Il avait donc dans l'esprit d'entreprendre une réforme économique ce qui importait pour lui c'était la conquête du pouvoir économique par tous les producteurs et travailleurs tunisiens auxquels il proposa une union à travers le système de coopératives. Il voulut ainsi, et à l'instar de ce qui se passait en Europe et notamment en Allemagne, jeter les bases d'un système économique adéquat sans lequel, estimait-il, il n'y avait pas de mouvement politique possible. Tahar Haddad, qui était son soutien et son bras droit l'affirmait dans son ouvrage précité en écrivant entre autres : "Le mouvement politique, à lui seul, est insuffisant. Il faut un développement scientifique et économique". Toutefois, M'hamed Ali a eu beaucoup difficultés à réaliser ce programme économique qui était jugé utopique par la plupart des travailleurs tunisiens eux-mêmes. La plupart des ouvriers gagnaient 6 francs par jour à l'époque. Les dockers en gagnaient 13. Comment pouvaient-ils verser chacun 100 francs même si c'était en quatre tranches soit 25 francs par tranche ? L'approche en elle-même était réalisable, il fallait donc rediscuter le quantum de la somme à payer par chaque ouvrier à titre de participation. Toutefois les évènements qui avaient surgi au port de Tunis le 13 août 1924, allaient obliger M'hamed Ali et les membres du comité provisoire, à surseoir à ce programme économique. La grève des dockers annonça le commencement de la lutte ouvrière en Tunisie à l'occasion de laquelle M'hamed Ali jugea utile de créer un syndicat purement tunisien afin de mieux défendre les intérêts des travailleurs. S'il n'avait réussi à les réunir au sein d'une organisation économique, il put le faire par la création de la CGTT, premier syndicat purement tunisien.