Par M'hamed JAIBI Rehaussée au niveau mondial par une magnifique retransmission inextenso de la remise du prix Nobel de la paix aux promoteurs du Dialogue national, la Tunisie a été, ces jours-ci, à la «Une» de tous les médias et au centre de toutes les préoccupations, à l'heure où l'éradication de Daech des foyers syrien et irakien fait craindre, plus que jamais, que le «génie» du mal ne s'implante désormais à nos portes. Si ce n'est déjà fait. Des éloges sans conséquence Mais si les éloges réitérés, à cette occasion heureuse, à l'égard de l'expérience et du modèle tunisiens n'ont toujours pas généré l'élan à même de relancer concrètement l'investissement et le développement, les allusions n'ont pas manqué, dans les reportages et les commentaires, quant au nombre record, parmi les «jihadistes» en armes, des jeunes provenant de Tunisie. Et les «analyses» de fuser de toute part, accréditant un sombre tableau irréaliste sur notre climat social, l'insupportable chômage des jeunes, leur désespoir et leur option en faveur du prétendu jihad contre d'autres musulmans en Syrie, en Irak ou en Libye... Et le chiffre de 5 mille cinq cents d'être lancé et rappelé en boucle comme une ritournelle, mettant à l'index notre pays, accusé, ainsi, d'une «instabilité» coupable, génératrice de jihadisme. Une effroyable mise à l'index Cette effroyable mise à l'index qui neutralise ainsi tous les effets bénéfiques que l'on aurait pu escompter autour du couronnement que représente le Nobel, accuse la Tunisie, sa politique sociale, son dynamisme économique, sa modernité, son pari sur l'enseignement et les ressources humaines, sa revalorisation annuelle des salaires, sa maîtrise démographique, sa politique de santé, le succès de son partenariat stratégique avec l'Europe, fruit d'un environnement des affaires attractif... De sorte que se pose un impératif majeur urgent, celui de voir notre pays réagir en chœur pour expliquer et relativiser. En chœur, car l'implication autocritique du mouvement Ennahdha et du CPR est essentielle. Le noyautage de la Tunisie La révolution du 14 janvier 2011 a donné, chez certaines puissances financières arabes et certains lobbies extrémistes religieux internationaux, le signal de départ à un véritable envahissement de la Tunisie par d'obscurs desseins hégémoniques. Et l'accès de la Troïka au pouvoir a renforcé ce phénomène, favorisant l'afflux de fonds colossaux, d'armes, de chasseurs de têtes, de prédicateurs wahhabites et de recruteurs. Le tout dans un climat de lutte idéologique qui a joué en faveur des projets takfiristes et jihadistes. D'où un véritable noyautage de la Tunisie. Ce qui n'a pas manqué d'avoir prise au sein d'une catégorie spécialement vulnérable, à la recherche d'un idéal mobilisateur: les jeunes. Des jeunes qu'on a ainsi corrompus, dont on a lavé les cerveaux, qu'on a sauvagement embrigadés. Un appel à l'autocritique Le moment n'est-il pas venu de voir les ténors de cette époque-là reconnaître le rôle conscient ou implicite que leur jeu politique d'alors a joué et les méfaits qu'il a, de ce fait, occasionnés ? Lorsque des voix s'élèvent pour accuser l'épisode de la Troïka, les acteurs majeurs de l'époque ne devraient plus y voir une mise en cause personnelle mais un appel à l'autocritique qui s'impose. Un prince chef d'Etat a, depuis, laissé la place à son fils, un militaire a pris le pouvoir dans un grand pays arabe que la même vague emportait, l'Iran a «fait la paix» avec l'Amérique, la Russie s'est alliée à la France... Que ne verra-t-on pas nos islamistes et leurs alliés dire, enfin, leur part de responsabilité. Cela les grandirait et crédibiliserait leur nouvel engagement en faveur du consensus, de la paix civile et de la République. Plus spécialement auprès de nos partenaires étrangers qui craignent que la Tunisie ne soit devenue «le pays du jihadisme».