La Tunisie semble bien à la croisée des chemins. On est en passe de retrouver le lustre de l'Etat, malmené à outrance lors des deux mandats de la Troïka. Mais des goulets d'étranglement et des pierres d'achoppement demeurent Le dispositif de redéploiement stratégique de l'Etat tunisien se met en place, malgré quelques ratés. Tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, les développements témoignent d'un regain de vigueur. Résumons : la lutte contre le terrorisme prend une nouvelle tournure avec le nouveau gouvernement. M. Lotfi Ben Jeddou, ministre de l'Intérieur, a même parlé avant-hier de «changement de stratégie» vis-à-vis des terroristes. Jusqu'ici, le gouvernement a oscillé entre le laxisme complice et la tiédeur consentie. Le discours de deux partis de la Troïka gouvernementale sortante — Ennahdha et CPR — n'avait de cesse de caresser la nébuleuse terroriste dans le sens du poil. Pour des considérations électoralistes notamment. Cela n'était guère fortuit. Les premiers mois d'après-révolution, en 2011, avaient été marqués du sceau de la dérégulation du marché de la violence. Des extrémistes, fanatiques et terroristes de tout poil ont envahi la place, à la faveur de la déliquescence brutale des forces de l'ordre. Des théorisations de la violence au nom du sacré, sur la base de l'ignorance sacrée, ont fait leur irruption. Ajoutons-y l'adoption hâtive d'une loi d'amnistie générale en partie douteuse, et dont ont profité des terroristes patentés. Sans oublier la fragilisation délibérée du ministère de l'Intérieur et la disparition étrange des services du renseignement. Du coup, des terroristes étrangers ont rejoint la Tunisie en toute hâte et y sont entrés comme dans un moulin. Ils se sont réunis avec leurs compères locaux en toute impunité. Le discours des partis de la Troïka gouvernante a, en grande partie, légitimé de pareils phénomènes, au nom de la liberté. Bien pis, le noyautage du ministère de l'Intérieur et la mise en place de structures policières parallèles, pro-Ennahdha, ont envenimé la donne. L'on se souvient même du peu de cas fait des entraînements de groupuscules armés dans les montagnes. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur avait même allégué qu'il s'agissait de bons pères de famille s'adonnant au sport. Les filières de recrutement de jihadistes en partance pour la Syrie furent légion. Au vu et au su d'une Troïka gouvernante complice. Pis, certains ministres ont même fait l'apologie du jihad en Syrie et y ont exhorté la jeunesse tunisienne. Et lorsque les terroristes se sont implantés au mont Châambi, les autorités les ont combattus du bout des lèvres. D'ailleurs, le ministre de l'Intérieur, qui occupait le même portefeuille dans le gouvernement de la Troïka II, a parlé avant-hier de «changement de stratégie». À l'entendre, les forces de l'ordre iront désormais déloger les terroristes dans les montagnes. Ce que, jusqu'ici, elles se sont abstenues de faire. Etrangement ! Sur le plan extérieur, la diplomatie tunisienne a renoué avec ses fondamentaux historiques. M. Mehdi Jomâa, nouveau chef du gouvernement, s'est rendu successivement en Algérie puis au Maroc. Une visite en Libye est prévue incessamment. Après avoir boudé notre pays, quatre mois durant, du fait d'une bourde présidentielle, l'ambassadeur des Emirats Arabes Unis est revenu en Tunisie. Il a été reçu à l'aéroport même par le ministre des Affaires étrangères. Le chef du gouvernement l'a reçu lui aussi. On connaît l'importance de ce pays dans le dispositif des pays du Golfe. Seul le Qatar importait pour la Troïka sortante. Et puis, il y avait le malencontreux dossier syrien. Sur un coup de tête présidentiel, la Tunisie avait rompu ses relations diplomatiques séculaires avec la Syrie. Et la Tunisie, abritant le congrès desdits amis de la Syrie, s'était positionnée du mauvais côté dans le conflit syrien. Dans le camp où essaiment les terroristes d'Al Qaïda, Israël et des pays occidentaux va-t-en-guerre. Aujourd'hui, on croit savoir que le consulat tunisien à Damas est en passe d'être rouvert. Last but not least, John Kerry, chef de la diplomatie américaine, en visite hier dans nos murs, a remis au chef du gouvernement une invitation officielle du président Obama. Ce que ses deux prédécesseurs des gouvernements de la Troïka ont vainement escompté. Economiquement aussi, nos partenaires étrangers ont redoublé d'initiatives heureuses. Bref, l'on se retrouve dans un cercle vertueux et vraisemblablement porteur. Même si le gouvernement Jomâa tarde à mettre en marche les stipulations de la feuille de route pour la sortie de crise qui l'a mandaté. Les questions des nominations partisanes pro-Troïka à des postes-clés de l'administration, ainsi que la dissolution des ligues dites de protection de la révolution demeurent en suspens. Le gouvernement traîne les pieds là-dessus. Relance, soit. Mais relance timorée, assurément. On dirait que Mehdi Jomâa obéit à quelques sentences secrètes. Il est encore, d'une certaine manière, dans le carcan de la Troïka sortante, qui joue les prolongations. La vingtaine de projets de loi rétrogrades légués devant le bureau de l'Assemblée constituante ne facilitent pas les choses. Ils renforcent le dispositif des partis de la défunte Troïka. Sans parler de la question du recensement de la population et des ménages qui sent le soufre et la manipulation. Bref, la Tunisie semble bien à la croisée des chemins. On est en passe de retrouver le lustre de l'Etat, malmené à outrance lors des deux mandats de la Troïka. Mais des goulets d'étranglement et des pierres d'achoppement demeurent. Du fait du jeu pervers de la partitocratie et des coups fourrés. Mehdi Jomâa et son gouvernement jouent à quitte ou double. Et la politique se réduit parfois au dilemme des référendums. On y répond par oui ou par non.