Quand le grand leader, qui sera assassiné quelques mois plus tard, forçait la compagnie à adopter une convention collective l'obligeant à respecter l'ensemble des droits des travailleurs pour ses employés L'affaire de la Cotusal, la Compagnie générale des salines de Tunisie, continue de faire couler beaucoup d'encre depuis sa spectaculaire révélation, il y a deux ans, à l'opinion publique. Au cours de la semaine écoulée, elle a soulevé des vagues lors des débats budgétaires au sein de l'Assemblée des représentants du peuple. Bénéficiant d'une concession lui permettant, depuis 1949, date de sa création, d'exploiter un domaine public maritime à un prix symbolique, la compagnie dont la structure du capital est étrangère à 65%, et dont le chiffre d'affaires avoisine les 19 millions de dinars (30 millions de dinars en 2013), emploie 410 personnes. Un scandale pour bon nombre d'acteurs de la vie publique, dont plusieurs députés et des médias, car ledit contrat porte atteinte à la fois à la souveraineté du pays et constitue un énorme manque à gagner. Ce qui a poussé ladite compagnie à publier en février dernier un communiqué de presse pour expliquer que son activité est strictement légale, transparente et qu'elle paye ses impôts. Notre propos ici ne concerne pas directement ladite affaire, mais des faits marquants de notre histoire syndicale très peu connus par le public. Vérités historiques qui mériteraient d'être connues à grande échelle, car elles démontrent, si besoin est, que la lutte des Tunisiens pour recouvrer leur souveraineté et leur dignité n'a ménagé aucun effort ni aucun terrain. Moins de deux ans après sa création, soit le 1er juin 1951, la direction générale de la Cotusal s'est, en effet, retrouvée acculée, grâce à la combativité et la ténacité des syndicalistes tunisiens, à signer une convention collective avec la centrale syndicale protégeant la presque totalité des droits des personnes qui y travaillent, à une époque où la législation sociale était encore embryonnaire. Ce qui a, entre autres, permis aux travailleurs de ladite compagnie d'être soustraits du régime agricole, pour se voir assimilés au secteur industriel comptant plus d'avantages. Une convention qui était l'œuvre de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) directement négociée, puis cosignée par le grand leader syndical et national Farhat Hached, qui sera lâchement assassiné sur ordre du gouvernement de la France coloniale, le 5 décembre 1952. Le leader-martyr avait en effet tenu à protéger le capital humain tunisien employé et avait fait pression sur la compagnie et l'administration coloniale afin de les obliger à accepter la négociation et ses résultats. Acquis que le document exprime noir sur blanc sur une vingtaine de pages en plus d'un additif de sept pages, relatif à l'institution d'une caisse de secours. En lisant ladite convention, l'on ne peut que rester admiratif devant tous ces droits qu'elle stipule à une époque, comme déjà dit, où la législation sociale était balbutiante. «Hached portait, à l'époque, de grands coups de boutoir au régime colonial, en gagnant petit à petit du terrain, sur l'occupant permettant la reconquête de notre souveraineté nationale». C'est ce que nous a confié, il y a quelques semaines, M. Noureddine Hached, fils du leader martyr et président-fondateur de la Fondation Farhat-Hached, en nous donnant une copie du fameux document dont il avait retrouvé un exemplaire dans les archives de son père. Et de nous expliquer que Hached avait tenu à renforcer la position sociale du travailleur tunisien et, de là, d'une large frange de la société, afin que le pays devienne plus résistant aux politiques injustes du pouvoir colonial. Il avait toujours fait en sorte que la Tunisie puisse recouvrer sa souveraineté sociale en attendant qu'elle recouvre son indépendance, a ajouté notre interlocuteur. Une démarche qui s'est avérée payante et qui avait participé à élever le leader au rang d'ennemi numéro un du pouvoir colonial et de l'homme à abattre. Ce qui a été fait le matin du 5 décembre 1952. Le leader tomba ainsi en martyr à l'âge de 39 ans, après plus de 20 ans de lutte sur tous les fronts, dont son action décisive dans la création, le 20 janvier 1946, de l'Ugtt, la seule centrale syndicale tunisienne qui a su et pu tenir tête à l'occupant. Ce dernier avait tout fait, à chaque fois, pour détruire toute tentative de création d'un syndicat national.