L'action syndicale est-elle dissociable de l'action politique ? A cette question, l'histoire du mouvement syndical, en Tunisie ou dans le monde ne nous permet pas de trancher de manière catégorique, et on serait tenté de dire qu'il y a une certaine interférence entre ces deux actions et en tout cas un but commun : la lutte contre l'oppression sous toutes ses formes. D'autant plus que dans un régime de dictature, les travailleurs sont plutôt réduits à l'esclavage. L'histoire douloureuse de la lutte syndicale a été celle du combat du plus faible contre le plus fort. La force est surtout économique, et le plus faible qui a besoin de travailler, s'est trouvé à la merci de celui qui détenait les moyens de production et de travail. Dans les régimes de dictature, ce dernier était le plus considéré, auprès de ceux qui détenaient le pouvoir, au grand dam des travailleurs qui étaient corvéables à merci. C'est ce qui a incité à la prise de conscience des travailleurs notamment dès le 18ème siècle, avec la révolution industrielle, et le développement du machinisme. Ceux qui participaient au développement économique par la force de leur travail, ont peu à peu pris conscience de leur situation, et se constituèrent, notamment en Angleterre puis en France dans des organisations de défense des droits des travailleurs, qui ont pris la dénomination de syndicat. Le mouvement ouvrier était dû à cet éveil du peuple opprimé par le pouvoir absolu et les régimes de dictature. Il s'est constitué peu à peu, un phénomène d'osmose l'action politique et l'action syndicale. Lénine affirme d'ailleurs dans son ouvrage « Que faire » qu'un syndicat apolitique est une absurdité, et une manifestation réactionnaire anti-naturelle. Répression coloniale et injustice sociale Le phénomène d'un ras- le- bol ouvrier en Tunisie, date des premières années du colonialisme, depuis que les Fellahs ont été spoliés de leurs terres par les colons. Ces derniers en effet avaient occupé par la force les meilleures terres, et les petits propriétaires terriens, étaient peu à peu devenus des travailleurs dans ces champs fertiles qu'ils avaient constitués à la sueur de leur front et par la force de leur travail. Ils s'étaient hélas, trouvés devant le fait accompli, exploités à volonté par ces colons devenus les détenteurs des moyens de production. Le souverain, agissant sous l'influence des autorités coloniales, avait de surcroît mené la vie dure à ceux parmi les petits propriétaires autochtones, qui avaient réussi à garder leurs terres. En effet, il collectait régulièrement auprès de ces petits fellah, la Mejba une sorte de tribut qu'ils étaient tenus de payer régulièrement, alors que les grands colons étaient épargnés, de cette taxe abusive.
Le mouvement des travailleurs agricole a précédé celui des travailleurs dans les usines et les ports, dont la situation n'était guère meilleure. En 1920, les précurseurs du mouvement politique contre le colonialisme, tels que le mouvement des jeunes tunisiens de Bach Hamba et ses compagnons, et ultérieurement le parti du Destour constitué par Thaâlbi et plusieurs autres, ont dénoncé avec force, aussi bien la répression des autorités coloniales, que les injustices à l'égard des ouvriers et des travailleurs autochtones d'une manière générale. Naissance du mouvement syndical Ce fut pendant ces mêmes années 1920 que M'hamed Ali El Hammi, précurseur du mouvement syndical en Tunisie a mené une action en faveur des travailleurs autochtones et créa la première organisation des travailleurs, la CGTT (Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens). Toutefois, cette organisation ne put prospérer à cause de la répression des autorités coloniales, lesquelles avaient tout fait pour faire subir à son créateur toutes sortes d'exactions. Accusé de rébellion et de troubles à l'ordre public, M'Hamed Ali a été incarcéré, puis condamné au bannissement. Il avait échoué en Arabie Saoudite, où il fut employé en tant que conducteur de Bus. Il périt d'ailleurs alors qu'il accomplissait son travail, au cours d'un accident sur la route de Jeddah, en mai 1928. Sur ses pas, Belgacem Gnaoui, tenta de ranimer la CGTT en 1937. Cependant cette organisation ne fit pas long feu à cause des conflits entre Gnaoui et le néo Destour, parti qui se constitua en 1934. Elle disparut en effet un an plus tard. Farhat Hached : Des syndicats autonomes à l'UGTT A l'époque la section tunisienne de la CGT française, censée défendre les travailleurs, n'avait pas pris fait et cause des travailleurs autochtones d'une manière objective. Ces derniers souffraient notamment d'une inégalité de traitement notoire par rapport aux travailleurs étrangers, Français fussent-ils, ou Européens, lesquels étaient favorisés, aussi bien sur le plan du salaire que sur celui des conditions de travail en général. Conscient d'une telle situation, Farhat Hached décida de quitter la CGT, et fondit en 1944, avec quelques camarades dont son compagnon de toujours Habib Achour, les Syndicats autonomes du Sud à Sfax , et un an après, soit en 1945, les Syndicats autonomes du Nord à Tunis. Après de ces deux syndicats, l'Union Générale des travailleurs tunisiens (UGTT) fut créée en janvier 1946 et Farhat Hached en fut le premier secrétaire général. Un militant syndical et un leader du mouvement national Dès lors l'action que mena ce grand leader Syndical, doublé d'un militant du mouvement national, avait consisté à dénoncer les injustices sous toutes leurs formes, que ce soit à l'égard des travailleurs, à l'encontre des autochtones là où ils pouvaient se trouver. La répression que menaient les autorités coloniales allaient crescendo, et Farhat Hached qui ne lâchait pas prise, menant une lutte sans merci, aux côtés des militants du mouvement national, tels que Bourguiba ou Ben Youssef, devenait un élément gênant pour l'occupant. Il fut pour cette raison, abattu de main froide, le 5 décembre 1952, par une organisation pro colonialiste, et laissé sans secours sur la route, près de la ville de Radès, où il était domicilié. Les conditions dans lesquelles il, a été achevé restent encore mystérieuses. L'UGTT courroie de transmission du parti ? Le rôle politique que joua cette organisation syndicale durant la période coloniale, a-t-il continué après l'indépendance, le pays ayant enfin recouvré sa souveraineté ? C'est l'histoire de l'évolution de cette organisation syndicale qui peut nous aider à répondre à cette question de manière objective. Certes le rôle de l'UGTT a été à la base purement syndical, et Farhat Hached, n'était pas un politicien, lorsqu'il eut l'idée avec ses camarades, de créer une organisation de défense des travailleurs. Toutefois, c'est la conjoncture de l'époque qui a fait que les revendications consistaient essentiellement à dénoncer la politique sociale des autorités coloniales. Si bien que les militants de l'époque, appuyaient de plus en plus cette organisation qui militait pour un but commun : la libération du pays du joug du colonialisme. Le discours des syndicalistes avait évolué depuis 1920, lorsque M'hamed Ali dénonçait l'état de misère des travailleurs, tout autant d'ailleurs que Gnaoui en 1938. Farhat Hached dénonçait toute la politique coloniale dans son ensemble. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il fut appuyé par les militants de l'époque, contrairement à M'hamed Ali et Gnaoui. La lutte de Farhat Hached était conforme à celle des militants politiques. C'est ce qui a fait dire d'ailleurs à certains observateurs que l'UGTT a été la courroie de transmission du parti, le Néo-Destour à l'époque. A vrai dire, c'est un leurre, bien que, à l'aube de l'indépendance, cette idée adoptée par les autorités de l'ancien régime, sous Bourguiba puis sous Ben Ali, les amena à imposer une politique sociale de leur choix, et à obliger l'UGTT de l'entériner. Cependant, si à l'aube de l'indépendance, il y a eu une certaine complicité entre l'UGTT et le gouvernement, les différends qui avaient engendré des crises , voir des émeutes, dont celle de 1978 et de 1984, sous Habib Achour, prouvent que la politique préconisée par cette organisation est celle de l'indépendance vis-à-vis du pouvoir. Même si la lutte qu'elle a menée avait tendance parfois à s'adapter à la conjoncture politique. En fait la politique de paix sociale et de prospérité économique est celle qui doit être recherchée par tous les partenaires sociaux, voire toutes les composantes de la société civile. Icône de la paix sociale Le 20 mars dernier, le maire de Paris a dévoilé le buste du premier président de la République tunisienne à l'esplanade Habib Bourguiba au 7ème arrondissement. Le 30 avril 2013, le même maire rend hommage à, une autre icône de la liberté et la paix sociale en inaugurant, la place Farhat Hached au 13ème arrondissement. C'est le but pour lequel ont milité les leaders et les syndicalistes, icônes de la liberté et de la paix sociale durant la période coloniale Au jour d'aujourd'hui, c'est à ce même but que doivent aspirer toutes les organisations sociales et politiques, qu'il s'agisse des gens de Justice qui préservent nos droits, de ceux qui nous représentent à l'hémicycle, ou de ceux qui nous gouvernent et dont le sort du pays est entre leur main, bénéficiant de la confiance du peuple qui les a mandatés.