«Notre femme dans la politique et dans la société» est l'intitulé du film-documentaire projeté, avant-hier, à la salle de cinéma Le Colisée à Tunis ; un film documentaire produit par la Ligue des électrices tunisiennes (LET) et réalisé par Anissa Daoud Le titre est inspiré de l'ouvrage référentiel du féministe et leader des droits de la femme, feu Tahar Haddad «Notre femme dans la chariâ et la société». La substitution voulue de la «Chariâ» par la «politique» est hautement significative, dans la mesure où elle dénote l'ambition des membres de la Let à concrétiser l'implication des Tunisiennes dans le paysage politique, et ce, conformément au principe de la parité. L'autonomisation politique de la femme constitue un droit constitutionnel, sociétal, culturel, voire existentiel pour la femme tunisienne. Le film-documentaire trace le parcours de la Let. La Ligue des électrices tunisiennes a vu le jour en 2011. Depuis, elle ne cesse d'épauler les femmes dans leur lutte pour l'intégration effective dans la vie politique. Cette ONG a, en effet, mis à la disposition des électrices, des candidates et des observatrices lors des deux scrutins (présidentiel et législatif ) des sessions de formation, d'information et de coaching afin de mieux les habiliter à réussir l'épreuve. Ce coup de pouce aussi bien moral qu'effectif s'imposait car, au lendemain des évènements du 14 janvier 2011, «chaque droit était controversé et chaque acquis était menacé», souligne Mme Basma Soudani, présidente de la Let. La Ligue a, ainsi, ouvert grand les bras pour accueillir des militantes féministes chevronnées, dans l'optique de conjuguer les idées féministes en une force servant les intérêts de la femme en Tunisie. Retour sur la genèse du féminisme en Tunisie Le documentaire part de l'historique assez glorieux d'une politique pro-féministe, ou du moins en comparaison avec les politiques purement machistes des pays frères. Il reprend la genèse et l'effervescence gauchiste du féminisme tunisien à travers les flash-back des membres de la Let, dont Saïda Garrach, Bochra Belhaj Hmida, Anwar Manser, Monia el Abed... Autant de figures féministes qui, mues par les valeurs de la justice, de l'égalité, du droit à être reconnues pour leur mérite, et ce, indépendamment de leur genre. Des femmes qui ont toutes cette étincelle de femmes justes et rebelles à la fois, cette qualité naturelle qui, en sachant la valoriser via la culture, le savoir, la capacité de dire «non à la discrimination du genre», la conviction, les pousse à clamer l'égalité entre l'homme et la femme, cette qualité, donc, a fait d'elles ce qu'elles sont actuellement, à savoir des figures ambassadrices de la femme tunisienne. La réalisatrice, Anissa Daoud, a agencé le documentaire au gré des déclarations de militantes et des confidences de femmes atypiques car non résignées. L'effervescence du mouvement féministe des années 70 et 80 a été mise en veilleuse par l'ancien régime qui a, selon les propos des intervenantes, exploité les acquis de la femme tunisienne pour magnifier l'image de la Tunisie. Alors que la réalité n'était pas aussi utopique qu'elle ne le paraissait. La mal-aimée D'ailleurs, la majorité écrasante de la gent féminine tunisienne se contentait du peu de liberté, de la pseudo-égalité entre les genres, et des acquis imposés par le CSP, inspiré du livre de référence de Tahar Haddad. Les femmes travaillent dur pour gagner leur pain quotidien sans pour autant être reconnues comme étant le pivot de la dynamique socioéconomique. Elles ne le sont pas car elles ne bénéficient point de la possibilité d'accéder aux postes de décision. Et pour preuve : 50% des syndicalistes adhérant à l'Ugtt sont des femmes. Mais aucune d'entre elles n'a réussi à décrocher une place au sein du bureau exécutif. L'implication de la femme dans la vie politique est un défi qui reste freiné par moult obstacles d'ordre culturel, mais aussi — voire essentiellement — politique. Cet écartement ancestral et machiste continue à délester la femme de son droit à l'insertion dans la vie politique. Pourtant, c'est bien elle qui a sauvé la Tunisie postrévolutionnaire et évité qu'elle ne sombre dans l'obscurantisme-revenant. C'est encore elle qui a débusqué l'ancien régime et qui a clamé la dignité, la liberté et la justice sociale. C'est toujours elle qui avance confiante, sincère et courageuse pour équilibrer la balance dans le sens positif, voire salvateur. Selon Mme Basma Soudani, et d'après les résultats d'un sondage d'opinion réalisé par la Let sur un échantillon représentatif de 2.200 femmes, 13,6% d'entre elles seulement ont une idée sur l'organisation d'un scrutin municipal. «J'ai gagné ma dignité !» Pour minimiser l'écart entre les chances de l'homme et celles de la femme dans la vie politique, la Let s'active afin de tirer les femmes rurales et autres vivant dans les quartiers défavorisés de leur torpeur. Les membres de la Ligue s'engagent dans la sensibilisation, l'information et l'initiation des femmes à la vie politique. Un activisme qui commence à donner ses fruits, documentaire à l'appui. Après avoir donné la parole aux militantes, le film-documentaire zoome sur les femmes qui font leurs tout premiers pas vers l'affirmation de soi. «On m'a demandé : qu'est-ce que t'as gagné en t'engageant ainsi dans ces formations ? Je leur ai répondu : j'ai d'abord et avant tout gagné ma dignité», indique une femme d'Azmour. Et d'ajouter qu'elle souhaite que sa fille devienne politicienne afin qu'elle parvienne à poursuivre le combat pour la cause féministe et traduire, enfin, le rêve des femmes libres en réalité. Le documentaire a permis de mettre en lumière le calvaire que vivent les femmes dans les zones et les régions défavorisées, notamment à Menzel Bourguiba, Azmour, Kélibia, Jendouba, la cité Ettadhamen à Tunis. Des femmes qui sont les premières victimes de la marginalisation et de l'injustice sociale.