Kaïs Saïed, jeunes médecins, Ordre des avocats…Les 5 infos de la journée    Festival de Hammamet : tolérance zéro contre la revente illégale    Projet de phosphate au Kef : un groupe chinois prêt à investir 800 millions de dinars    Le Festival international de Bizerte lève le voile sur les premières têtes d'affiche de sa 42e édition    Festival de Hammamet : tout ce qu'il faut savoir sur l'achat des billets    Kabīs Ben Sassi, meilleur élève de Tunisie avec 19,37/20 à l'examen de la Neuvième    TARTIB 2.0 : Une nouvelle plateforme pour prioriser les investissements publics    Dérives judiciaires et répression de la liberté d'expression : l'Ordre des avocats tire la sonnette d'alarme    BNA Assurances dément tout projet de partenariat avec un groupe étranger    Coupure d'eau à Ennadhour – Aïn El Berda ce jeudi à partir de 14h00    Tunisair Technics : 400 dinars de plus pour les techniciens, la grève suspendue    Orages violents et grêle : alerte météo cet après-midi en Tunisie    La SNCFT transporte près de 780 000 tonnes de phosphate au premier semestre    Où étudier en France en 2025 ? Le top des villes pour les étudiants tunisiens    La Tunisie met en avant sa vision lors des dialogues approfondis sur l'éducation transnationale du British Council    City Cars – Kia accompagne la Protection Civile de Tunis et de Sfax dans la formation aux véhicules électriques    L'UBCI soutient la créativité au Grand Défilé Annuel ESMOD Tunisie 2025    Tunisiens, ne tardez pas à déclarer et transférer vos avoirs avec « Jibaya »    Nuit de cauchemar entre Java et Bali : 30 disparus après un naufrage    Projet FEF Horizon Recherche : Vers une évaluation renforcée de la recherche scientifique en Tunisie    Diogo Jota est mort : choc dans le monde du football    L'attaquant international de Liverpool Diogo Jota perd la vie dans un terrible accident de la route    Michket Slama Khaldi plaide pour une dette souveraine tournée vers le développement durable    Sécurité alimentaire en été : renforcement des contrôles sur les fruits, légumes, fourrages et eaux conditionnées    Expulsion, litiges, préavis : ce que tout locataire tunisien doit exiger dans son contrat    USM : Faouzi Benzarti jette l'éponge et quitte le club    Le Front de salut national appelle à manifester le 25 juillet prochain    Slim Bouzidi : les agents de la Steg subissent des pressions constantes    Glissements de terrain à Sidi Bou Saïd : Lancement d'un plan d'urgence    Le Royaume-Uni et la Tunisie lancent un projet d'énergie propre pour les opérations de pêche artisanale    De Carthage à Mascate : Une histoire partagée, un partenariat renforcé    Kaïs Saïed menace de nouveau de remplacer les responsables par des chômeurs    Nucléaire : l'Iran suspend officiellement sa coopération avec l'AIEA    Dougga le 5 juillet : NOR.BE et 70 musiciens en live dans le théâtre antique    Les Etats-Unis cessent la livraison d'armes à l'Ukraine : Kiev vacille, Moscou à l'affût    Spinoza, Dieu et la nature à l'épreuve du Big Bang: vers une métaphysique cosmique    Football-US Monastir : Faouzi Benzarti sur le départ?    Vient de paraître : Paix en Palestine: Analyse du conflit israélo-palestinien de Mohamed Nafti    Tournoi scolaire de football 2025 : l'école primaire Al Mansourah à Kairouan remporte la finale nationale    Décès de Mrad Ben Mahmoud : Un photographe de grand talent nous quitte    Tournée de La Nuit des Chefs au Festival Carthage 2025, Festival Hammamet 2025 et à El Jem    Il ne fait rien... et pourtant il est payé : le métier le plus déroutant du monde    Trump annonce une trêve de 60 jours dans la bande de Gaza    Tunisie – Oman : Comment multiplier les 10.000 Tunisiens au Sultanat et les 97 millions de dinars d'échanges commerciaux    Trump tacle Musk sur le montant des subventions qu'il touche    Vient de paraître - Paix en Palestine: Analyse du conflit israélo-palestinien de Mohamed Nafti    Wimbledon : Ons Jabeur contrainte à l'abandon après un malaise sur le court    Wimbledon 2025 : Ons Jabeur face à Viktoriya Tomova au premier tour    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



SAMI AOUADI – Professeur d'économie à l'Université de Tunis El Manar: «Il faut briser l'isolement des régions intérieures»
Publié dans La Presse de Tunisie le 25 - 11 - 2020

Dix ans après la révolution, la carte des indices socioéconomiques est la même qu'avant 2011. Les régions de l'intérieur enregistrent toujours les taux les plus faibles en termes d'emploi, de niveau de vie, de scolarisation... etc. Pourquoi ? Quelles sont les causes de ce caractère structurel du déséquilibre socioéconomique entre les régions côtières et intérieures ? Le professeur d'économie et directeur du laboratoire de recherche en économie du développement à l'Université de Tunis El Manar nous en parle plus dans cet entretien.
Selon le dernier rapport de l'Itceq, la carte des indices socioéconomiques est la même qu'avant la révolution. Les régions intérieures ont les indices les plus faibles en termes d'emploi, de niveau de vie, d'éducation... Pourquoi les inégalités régionales persistent-elles 10 ans après la révolution?
La réponse est simple: parce qu'il n'y a pas eu de changement ni du modèle de développement macroéconomique global ni du modèle de développement régional. Les différents gouvernements, qui se sont succédé après la révolution, avaient pour seul souci de rester au pouvoir. Ils n'ont pas pensé à modifier le fonctionnement de l'économie nationale. La surpolitisation des débats et la marginalisation de la question économique ont fait que les choses n'ont pas changé et que les inégalités ont persisté.
Parmi les indices précédemment mentionnés, on trouve que 90% des PME sont installées dans les régions côtières. Clairement, l'intérieur du pays n'attire pas les investisseurs malgré les mécanismes d'incitation et d'avantages fiscaux mis en place par l'Etat. Pourquoi?
Je ne dirais pas malgré mais plutôt à cause de ces mécanismes d'incitation que ce déséquilibre persiste. Historiquement le secteur privé s'est installé dans les régions côtières parce qu'il est en quête de proximité de trois éléments essentiels, à savoir le bassin de l'emploi, le bassin de la consommation et les installations portuaires. C'est un choix basé sur les coûts de transaction, alors qu'on trouve des entreprises publiques un peu partout dans les différents pôles de développement à Kasserine, Gabès, Béja …etc. Et puis, l'Etat a mené une politique de développement régional qui consistait à donner aux trois zones prioritaires un peu plus d'avantages fiscaux tout en négligeant l'aspect attractivité régionale en termes de cadre de vie, de capacité de rétention, de ressources humaines ainsi que d'infrastructures routières et énergétiques. Par exemple, dans le Nord-Ouest, il s'agit d'une infrastructure héritée de l'époque coloniale et il y a des chefs-lieux de régions comme à Siliana où il n'y a pas de restaurants touristiques ou d'hôtels pour passer la nuit. Il y a eu des efforts, mais c'est très peu. Il n'y a pas eu une prise de conscience de la nécessité de reconfigurer la morphologie des régions de l'intérieur afin de mettre un terme à leur isolement. Ce sont des régions pratiquement enclavées. C'est pour ça que le privé choisit de s'installer dans les régions côtières parce qu'en comparant les avantages fiscaux avec les coûts d'installation dans une région de l'intérieur loin de l'administration, du port... etc., il s'avère que c'est beaucoup plus coûteux d'implanter son projet dans une région défavorisée. Pour changer la donne, il faut mettre en place toute une politique de développement régional et non pas de simples avantages fiscaux. Le développement régional, c'est des trains, des routes, des infrastructures, des centres d'appui à l'entreprise qu'on construit afin d'améliorer l'attractivité.
Donc, ce sont les modèles de développement adoptés et appliqués, des décennies durant, par l'Etat qui ne marchent pas ?
Ils sont bloqués. Le modèle de développement du consensus de Washington en vigueur depuis le milieu des années 80, dans le cadre du programme de l'ajustement structurel, a donné des résultats pendant une certaine période puis il s'est essoufflé. Sur 40 ans, on n'a pas pu faire une croissance moyenne qui dépasse les 4,5 ou 5% alors que la demande additionnelle d'emploi augmente chaque année. Nous avons besoin de taux de croissance et d'employabilité beaucoup plus élevés.
Actuellement, on est toujours avec le même modèle néolibéral qui refuse l'intervention de l'Etat (même en situation de crise, on sollicite l'Etat pour avoir des fonds et encourager les entreprises pour les subventionner, les exonérer... etc.).
Mais l'Etat bâtisseur du développement a cessé depuis le milieu des années 70.
L'ancien modèle de développement a été court-circuité par une approche validant les thèses et les recommandations d'une Banque mondiale et d'un Fonds monétaire devenus de plus en plus néolibéraux et tournant le dos aux problématiques spécifiques des pays en développement qui nécessitent un secteur public fort mais efficace et un Etat développementaliste et démocratique. La politique du développement régional actuelle est basée sur le principe suivant : je te donne des incitations et à toi de voir si tu veux y aller ou non. Tout cela n'est pas suffisant. Il faut reconfigurer les régions de l'intérieur, briser leur isolement, les doter des ressources publiques nécessaires et surtout travailler sur la valorisation locale des ressources naturelles.
Justement, quel modèle de valorisation préconisez-vous pour les régions intérieures qui regorgent de ressources naturelles ?
Il y a un modèle prêt qui est le modèle de l'économie sociale et solidaire. C'est un levier de développement très important dans les régions de l'intérieur, mais il ne doit pas constituer à lui seul l'alpha et l'oméga du développement socioéconomique dans les régions de l'intérieur. Par exemple, la valorisation du marbre n'est pas une question d'ESS, ce sont des unités de production importantes. Il n'est pas acceptable que le marbre de Kasserine soit transformé à Sousse, Tunis ou Sfax. La même chose pour tout ce qui est produit agricole transformé. Donc, il faut qu'il y ait de grands projets pour la valorisation des ressources, comme à Sidi Bouzid par exemple pour valoriser l'industrie du verre qui a un grand avenir. Il faut penser non seulement au marché intérieur mais, aussi, à l'exportation. Donc il y a l'axe de l'économie sociale et solidaire, avec la valorisation locale des ressources naturelles qui nécessitent de grands moyens publics, privés ou même dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP).
Mais il y a des expériences d'aménagement de pôles et de zones industriels dans les régions. Est-ce que ce modèle d'aménagement de territoire industriel peut réussir ?
S'il y a une véritable politique d'aménagement de territoire volontariste, susceptible de changer significativement les éléments du terrain, ça ne pourrait que marcher. Je me rappelle de ce que m'a dit un jour un ministre : "Je ne construis pas une autoroute lorsque je ne vois rien au bout", je lui ai dit : «Vous allez continuer à ne rien voir au bout tant qu'il n'y a pas d'autoroute».
C'est le paradoxe de l'œuf et de la poule. Certains avis pensent que ce n'est pas utile de développer l'infrastructure et la logistique puisque ces régions sont, de toute façon, loin des ports, manquent de main-d'œuvre qualifiée...
Le développement régional est tout un package. C'est toute une politique. Pour réussir le développement régional, il nous faut un système d'incitation spécifique, des organismes d'encadrement et d'assistance pour les entreprises privées, des entreprises publiques fournissant des services gratuits, des centres de formation professionnelle qui s'y installent, des infrastructures routières, énergétiques, tout cela doit être imbriqué en même temps. C'est tout un programme de deux ou trois ans. Cela ne peut que marcher parce qu'il y a tellement d'opportunités d'investissement et il y a de l'argent.
Que pensez-vous du principe de la discrimination positive qui est inscrit dans la Constitution ?
Et est-ce qu'il y a eu des expériences dans ce sens en Tunisie à part l'expérience qui a été amorcée par Slim Khalbous pour la filière médecine?
Je ne pense pas qu'il y a eu d'autres expériences de discrimination positive. Peut-être que la création de zones de développement régional stipulée par le code d'incitation à l'investissement est considérée comme une sorte de discrimination positive. Par rapport à la première question, je pense que l'article 12 de la Constitution est bon, mais il est insuffisant. La discrimination positive, dans certaines régions, dans certaines filières, c'est légitime. L'enseignement supérieur permet de corriger l'égalité des chances. Un bachelier de Kasserine ne bénéficie pas de la même qualité d'encadrement qu'un bachelier d'El Menzah, donc pourquoi le pénaliser? On pourrait casser ces inégalités qui sont des externalités négatives par rapport aux habitants des régions de l'intérieur. Et cela a été appliqué dans des pays développés comme la France.
Avec la recrudescence des mouvements sociaux dans les régions et la montée de la colère des habitants qui revendiquent le développement régional, pensez-vous qu'il est possible d'engager des mesures dans ce contexte d'économie exsanguë et de déficit budgétaire sans précédent ?
Bien entendu, il faut le faire en dépit de ce contexte. Dès que les contestataires verront le début des travaux, ils vont lâcher la main. C'est perçu comme un signal que l'Etat s'occupe d'eux.
Que pensez-vous des décisions qui ont été prises par le gouvernement dans le cadre de l'accord d'El Kamour ?
Démagogiques. Cela a commencé avec Ben Ali. Il a donné des salaires, par exemple à Gafsa pour calmer la jeunesse et la population. Les gens se sont habitués à toucher des salaires sans travailler. Maintenant toutes les régions vont emboîter le pas à Tataouine.
Il y aura des vannes partout fermées, des vannes d'eau, de pétrole, de gaz...etc.
Quelles répercussions pourrait avoir la crise du Covid sur le développement des régions?
Le Covid-19 n'a pas créé les inégalités, mais il a exacerbé la fracture sociale qui existe. Les Tunisiens ne sont pas tous égaux devant l'accès aux soins publics. Quand on est dans un grand centre urbain, on a plus de chances d'être soignés que dans lorsqu'on est dans une ville de l'intérieur du pays. Que dire, alors lorsqu'on est dans une campagne de l'intérieur. Le Covid a révélé la fragilité et l'injustice de la carte sanitaire du pays. Mais il n'y a pas que l'aspect sanitaire, il y a aussi l'aspect social, le Covid va avoir des répercussions économiques et sociales catastrophiques. Jusque-là, on a enregistré une croissance négative, l'accroissement des besoins de financement nécessitant un recours à l'endettement excessif, les arrêts d'activités, l'exacerbation des inégalités et la fragilisation de la société encore plus aggravée. Il faut penser à ceux qui perdent leurs salaires, leurs emplois, leurs sources de revenu. Il faut également penser à tout le secteur informel, à certains métiers, notamment du spectacle, toutes ces catégories-là ne peuvent pas bénéficier des aides de l'Etat.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.