Les pays européens compensent leur chute démographique grâce aux immigrations à raison de 80%. L'Allemagne a eu l'intelligence, d'ailleurs, de miser sur l'intégration des réfugiés syriens. La migration connaît un boom sans précédent. Quelque 230 millions de personnes dans le monde changent de pays, en quête de perspectives de sécurité et d'un avenir prometteur. Un nombre qui en dit long sur le mal-être de millions de personnes déstabilisées par un contexte international marqué par la crise économique, les conflits armés et la vague de terrorisme. La Méditerranée n'est pas à l'abri de ce tumulte. Et face à une telle réalité, les politiques des pays d'origine et autres d'accueil restent mitigées, ce qui n'arrange pas les choses et ne garantit point la sécurité des migrants et des immigrés, en particulier. Examiner les enjeux politiques relatifs à l'immigration en Méditerranée s'impose afin de traiter le problème à la base. Aussi, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) et la Fondation Rosa Luxembourg ont-ils organisé, tout récemment, un colloque international sur l'immigration et les enjeux politiques dans le bassin central de la Méditerranée. L'on désigne par migration les flux des immigrants qui se déplacent du sud vers le nord de la Méditerranée, soit un échange déséquilibré au détriment, en apparence, des pays européens. Or, la réalité est tout autre. Mme Marie-Christine Vergiat, parlementaire européenne, considère que l'immigration fait partie intégrante de l'humanité. Elle ne suit pas exclusivement la trajectoire sud-nord mais obéit, au contraire, à plusieurs schémas. En effet, le nombre de migrants à travers le monde s'élève à 230 millions de personnes dont 80 millions se déplaçant du sud vers le nord et 80 millions autres, du sud vers le sud. La migration nord-nord touche 60 millions de personnes. «Il faut arrêter de percevoir la migration comme un problème qui vient du sud pour altérer le nord», souligne-t-elle, ferme. Elle cite, à titre indicatif, la situation migratoire en France. La balance migratoire y est égale à zéro, ce qui prouve que la France reçoit autant de personnes qu'elle n'en émet. L'oratrice examine la question d'un point de vue plus éthique. Le mouvement de la circulation internationale se traduit, en effet, par un milliard de personnes se déplaçant à travers le monde, dont 50% de déplacements pour le tourisme. Les déplacements internationaux effectués pour des motifs de travail se limitent à 15%. «L'évolution des déplacements mondiaux est de taille. En 1950, la circulation mondiale ne concernait que 25 millions de personnes par an. Aujourd'hui, elle gagne, chaque année, quelque 50 millions de personnes, ce qui est tout à fait normal. Ces déplacements semblent, toutefois, réservés aux riches», ajoute l'oratrice. La diabolisation de la migration sud-nord Pour pérenniser cette vision ségrégative, les Etats européens ont tendance, désormais, à tabler sur deux composantes fondamentales : la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Aussi, procèdent-ils au cloisonnement et à la fermeture des frontières devant des immigrés provenant des pays de la rive sud. Cette approche fondée sur la diabolisation de la migration sud-nord n'a aucune assise d'autant plus que les attentats qui ont eu lieu en France, par exemple, ont été commis par des français et des européens. «Parallèlement, l'Europe négocie des accords de libre-échange, élabore des partenariats qualifiés d'égalitaires entre les pays de la rive nord et ceux de la rive sud. Des accords conditionnés qui ne font qu'alimenter la crise dans les pays du sud. Ces politiques, poursuit-elle, renforcent la peur de l'extrême droite et nourrissent l'islamophobie. Et pour preuve : la montée sans précédent du parti de Marine le Pen». Mme Vergiat souligne le précieux apport de l'immigration dans les pays européens. Un apport qui vient combler la chute démographique à raison de 80%. L'Allemagne a eu l'intelligence, d'ailleurs, de miser sur l'intégration des immigrés syriens. Pour une stratégie humaine et solidaire Pour Mme Lilia Rebai, universitaire et membre du Réseau euro-méditerranéen pour le développement humain (Remdh), les enjeux politiques et l'immigration dans le bassin central de la Méditerranée exigent l'élaboration d'une stratégie globale, fondée sur les principes de solidarité et d'humanité. Il faudrait, aussi, repenser les politiques aussi bien des pays d'origine que des pays d'accueil et impliquer la société civile dans les programmes et plans d'action. Des mesures qui stopperaient le drame perpétuellement renouvelé en Méditerranée. «En 2015, quelque 3.000 personnes ont péri en Méditerranée ; soit 3.000 rêves brisés. La Méditerranée est nourricière et la voir se transformer en cimetière me choque», dit-elle. Et d'ajouter que 515 mille réfugiés ont choisi de risquer le tout pour le tout en empruntant la voie périlleuse de la migration clandestine, en Méditerranée, dont 54% de syriens. En Tunisie, et d'après les chiffres de l'OIM, quelque 260 mille immigrés sont stabilisés dans notre pays dont 700 réfugiés syriens. L'oratrice montre du doigt le manque de données relatives aux immigrés subsahariens. L'immigration : un plus ! Si la stéréotypie et la stigmatisation des migrants provenant du sud vers la destination nordique persistent, les répercussions d'une telle position internationale seront au détriment des migrants et des politiques elles-mêmes. Ne serait-il donc pas judicieux de repenser ces politiques et de les ajuster aux intérêts des deux rives de la Méditerranée ? Mme Alima Boumediene Thiery, ancienne parlementaire européenne, trouve que l'immigration est un plus aussi bien en termes économiques, démographiques que démocratiques. C'est un phénomène révélateur des problèmes de société et non leur déclencheur. Pour elle, la stigmatisation de l'immigration sud-Nord et l'islamophobie sont les responsabilités des pays d'accueil et des pays d'origine. Or, les premiers continuent à banaliser les idées de stigmatisation, les autres, et à défaut de solutions de développement et de sécurité, abandonnent les émigrants à leur sort...