A la lumière du dernier revirement de Qalb Tounès, Hichem Mechichi ne dispose plus d'une majorité parlementaire confortable susceptible de lui garantir un éventuel remaniement ministériel face à un Parlement divisé où la tension politique bat son plein. Pourquoi Qalb Tounès a-t-il changé brusquement d'avis alors qu'il était le premier parti à avoir appelé à ce remaniement ? Ce revirement de position de dernière minute est-il en relation avec l'arrestation de Nabil Karoui ? Cela fait plusieurs semaines qu'on entend parler d'un imminent remaniement ministériel. L'information s'est précisée notamment après le limogeage du ministre des Affaires locales et de l'Environnement sur fond d'une affaire de justice et peu après du ministre de l'Intérieur pour des raisons jusque-là peu claires. Et si on rappelle également que le ministre des Affaires culturelles avait été également limogé après un différend avec le chef du gouvernement, on s'aperçoit que ce remaniement est devenu une obligation et non pas une simple option politique. Or, cet éventuel remaniement devrait porter sur plusieurs autres ministères et non seulement sur les trois départements précités bien qu'il tarde toujours à avoir lieu. En effet, annoncé comme imminent, le remaniement ministériel n'a toujours pas eu lieu pour diverses raisons politiques, dont notamment le revirement de situation du parti Qalb Tounès après l'arrestation de son leader Nabil Karoui, d'un côté. De l'autre, le président de la République, Kaïs Saïed, s'est dit implicitement exclu des concertations portant sur ce remaniement affirmant qu'il n'a pas été informé à ce sujet, ce qui donne plus de détails sur la nature des relations entre La Kasbah et Carthage. Cette situation fait que le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, se trouve coincé au cœur d'un casse-tête politique impliquant plusieurs protagonistes dont notamment le parti Ennahdha qui pousse fortement dans la direction de ce remaniement avec un seul objectif : politiser l'actuel gouvernement. Or, à la lumière de ce dernier revirement de situation annoncé par Qalb Tounès, Hichem Mechichi ne dispose plus d'une majorité parlementaire confortable susceptible de lui garantir un remaniement ministériel face à un Parlement divisé où la tension politique bat son plein. Pour Iyadh Elloumi, dirigeant au sein de Qalb Tounès, actuellement l'heure n'est pas celle d'opérer un remaniement au vu de la gravité de la situation sanitaire et économique. En effet, intervenant dans des déclarations médiatiques, il a affirmé que « le parti Qalb Tounes refuse tout remaniement ministériel durant cette période, car il y aura des répercussions négatives dans cette conjoncture nationale ». « Aujourd'hui, l'urgence est sanitaire », a-t-il martelé, réfutant toute information qui laisse penser à un éventuel chantage opéré par Qalb Tounès en relation avec l'emprisonnement de son président, insistant sur l'indépendance de la justice en Tunisie. Pourtant, il y a quelques jours ce même parti et notamment le président de son bloc parlementaire Oussama Khelifi appelaient fortement à un remaniement ministériel au vu de la «faiblesse du rendement de quelques ministres». En effet, Qalb Tounes était l'un des premiers partis à avoir appelé, en décembre dernier, à un remaniement ministériel, dans l'objectif de donner un ton et une couleur politiques à ce gouvernement. Un remaniement de grande envergure ? Ce revirement de position a en effet redistribué les cartes de Hichem Mechichi qui pensait à un remaniement d'envergure impliquant jusqu'à 12 portefeuilles, comme le souligne Hassouna Nasfi, président du bloc de la réforme qui soutient le gouvernement Mechichi. «Après l'évaluation de l'action gouvernementale durant trois mois, je pense que le Chef du gouvernement a besoin d'apporter quelques modifications de manière à garder l'indépendance du gouvernement, ce remaniement pourrait toucher sept, huit ou même douze ministères», a-t-il expliqué. Mais cet éventuel remaniement est également marqué par la tension qui ne cesse de se manifester entre les deux branches de l'Exécutif. En recevant Samia Abbou, députée du bloc démocratique qui avait entamé une grève de la faim ouverte, le Président de la République a affirmé en effet qu'il n'était pas au courant de ce remaniement ministériel, «lui qui est le symbole de l'unité nationale». Cette situation officialise ainsi la rupture entre Hichem Mechichi et Kais Saied qui avait débuté le jour de vote de confiance au gouvernement lorsque le Chef du gouvernement a formé son coussin politique impliquant Ennahdha, Qalb Tounès et Al-Karama. Cela en dit trop en effet sur le manque de coordination entre les deux branches de l'Exécutif et sur la nature des relations entre le Président de la République et le Chef du gouvernement, alors que la Tunisie traverse l'une des crises les plus profondes de son histoire. De ce fait, le Chef du gouvernement n'a plus une grande marge de manœuvre politique au vu de la complexité de la situation. Quelle carte va-t-il jouer ? Fera-t-il un passage en force pour imposer ses choix ou choisira-t-il de temporiser et de se focaliser actuellement sur la crise sanitaire ? En tout cas, dans les coulisses de la scène politique on évoque un remaniement ministériel qui comblera les vides des portefeuilles de l'Intérieur, des Affaires culturelles et des Affaires locales et de l'Environnement, mais aussi qui touchera des ministres dont le rendement est jugé insuffisant par La Kasbah. En effet, les ministres qui devraient quitter le gouvernement Mechichi, si ce remaniement se confirmait, ne sont autres que ceux de la Santé, de l'Agriculture, de l'Industrie et des Mines et de la Justice.