Après une décennie morose, la crise liée au coronavirus risque de porter le coup de grâce à un métier séculaire qui a, longtemps, fait les beaux jours de l'artisanat tunisien. Cela fait plus de dix ans que les artisans tirent le diable par la queue. Certes, les difficultés auxquelles ils font face ne datent pas d'aujourd'hui. Mais la crise économique liée au coronavirus risque d'enfoncer le dernier clou dans le cercueil d'un secteur sclérosé. Le métier de la chéchia ne déroge pas à la règle. Au fil des années, plusieurs chaouachis ont mis la clé sous la porte et ont définitivement abandonné leur métier. Au souk de la Chéchia, situé à quelques encablures de la Mosquée Zitouna dans la Médina, le commerce de cette coiffe traditionnelle ne fait plus florès. Les échoppes du souk continuent de fermer les unes après les autres. La tradition du couvre-chef en déclin, elle n'attire plus les jeunes générations. Et avec la baisse drastique de l'affluence des touristes constatée depuis 2011, les commerçants de la chéchia n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Poussés dans leurs derniers retranchements, ils finissent par abandonner définitivement un métier transmis de père en fils. "Aujourd'hui, seules une dizaine de boutiques tiennent tête à la décadence du commerce de la chéchia au souk qui comptait à la belle époque plus de 360 échoppes. Depuis 2011, la situation va de mal en pis. Nous pâtissons de l'effondrement du tourisme. Avec la crise du coronavirus qui malmène la majorité des artisans, on a presque perdu espoir, mais quand même on fait de la résistance", déplore Farid Bhar, qui gère une boutique de chéchias depuis 30 ans. Il ajoute : " Il m'est impossible de laisser tomber cette échoppe que j'ai héritée de mes aïeuls. C'est une honte!". Un processus de fabrication conservé L'histoire de la chéchia remonte à des centaines d'années. Elle serait originaire d'Ouzbékistan et elle serait arrivée en Tunisie au XIIe siècle, à Kairouan. Mais ce n'est qu'au XVIIe siècle que la fabrication de ce couvre-chef traditionnel devient une véritable industrie à Tunis. "Le processus de fabrication de la chéchia date de 800 ans. La chéchia est fabriquée à partir de la laine. On donne de la laine aux femmes qui habitent à l'Ariana pour tricoter le kabous qui est une sorte de grand bonnet blanc. Après, place au foulage, qui consiste à fouler fortement le kabous pour son durcissement. Ensuite, il est soumis à l'opération du cardage. La chéchia est ensuite envoyée à El Alia où elle est bouillie (à 90°) et teinte. La couleur dépend du marché destinataire. Si elle est destinée au marché tunisien, la chéchia est teinte en rouge vermillon. S'il s'agit du marché libyen, elle est noire tandis qu'au Nigeria elle est de couleur rouge bordeaux. Enfin la dernière étape est le moulage qui consiste à repasser la chéchia sur son moule", explique le chaouachi. Il ajoute : " Il n'y a que les Occidentaux qui valorisent et soupèsent la valeur patrimoniale de la chéchia. Il faut que l'activité touristique reprenne pour que le commerce de la chéchia décolle. Si le tourisme reprend, ça y est, la machine, à ce moment-là, est lancée". Espérer en des lendemains meilleurs Le métier de la chéchia survivra-t-il ? Ou finira-t-il par disparaître face au désintérêt des jeunes générations? "Je continue à espérer en des lendemains meilleurs même si la situation est extrêmement difficile", répond Farid Bhar. Pour le sexagénaire, il n'est pas question de baisser les bras. Il a essayé d'adapter son produit à la demande du marché en modernisant la chéchia. Son idée était de transformer le couvre-chef traditionnel en chapeau, tout en conservant le même processus de fabrication. Mais en ces temps de crise, rien ne semble pouvoir convaincre les acheteurs. "Depuis une dizaine d'années, nous souffrons le martyre. Les attentats terroristes qui ont eu, successivement, lieu ont affaibli l'activité touristique affectant, par ricochet, le commerce de la chéchia. Mais là, avec la crise liée au coronavirus, on est littéralement envahi par la misère. Les pouvoirs publics sont complètement absents et les caisses de l'Etat sont vides. Tout le monde fait la sourde oreille et personne n'est conscient que tout un métier est en péril", avoue Farid avec beaucoup d'amertume. Pour le commerçant, la chéchia est un emblème national et un symbole de la richesse patrimoniale de la Tunisie. Le métier de la chéchia est séculaire. Selon lui, le préserver n'est pas un luxe. C'est un devoir qui incombe en premier lieu à l'Etat. Même en ces temps de crise.