Par Mahmoud HOSNI J'AI pris le contrepied du titre du roman d'Alan Paton. Cet écrivain sud-africain avait écrit un livre intitulé «Cry, the beloved country» (Pleure ô pays bien-aimé). Un roman inspiré de son expérience d'éducateur avant-gardiste et d'homme politique, fondateur du Parti libéral, vite dissous par les autorités de l'époque de Pretoria, parce que s'inscrivant contre l'apartheid, un mal extirpé après sa mort. Aujourd'hui, l'Afrique du Sud multinationale a survécu. Alan Paton, encore vivant, aurait repris le titre (Ne pleure pas, ô pays bien-aimé) parce que son pays s'est réconcilié avec son identité et ses spécificités. Et c'est le titre qui sied bien à la Tunisie, parce que ce pays, trois fois millénaire, a survécu à toutes les crises qui ont jalonné son histoire. Et ce n'est pas aujourd'hui, cinq ans après la révolution de la dignité, de la liberté et de la démocratie, qu'il va retomber encore plus bas. Les hommes qui ont dressé l'échine en ce 14 janvier 2011 ne se soumettront plus jamais à la dictature et encore moins au terrorisme, ce mal dont des dirigeants, plus que mal inspirés, malintentionnés, ont favorisé l'éclosion. Il est vrai que la révolution a accouché dans la douleur et que des Tunisiens ont payé de leur vie ce moment historique. Mais des hommes, dont le quasi-majorité vivaient dans un exil doré, ont pris le train en marche et ont tenté de lui donner une autre direction. Certes des acquis inestimables ont été arrachés à leur corps défendant, mais entre-temps, le train a été en quelque sorte mis sur une voie de garage : trop de maladresses, de laxisme, voire de compromissions, ont retardé la concrétisation des objectifs de la révolution, mais ne l'ont pas totalement déviée de sa route. En premier lieu, les martyrs et les blessés de la révolution ont-ils été rétablis dans leurs droits ? Où sont passés les milliards accordés au début de la révolution à titre de prêts ou de dons à l'aube de la révolution? C'est une question plus pertinente que celle : «Où est le pétrole ?». Ces mannes auraient servi à arroser le sable du désert. Et ceux qui ont à gérer le destin de la Tunisie doivent rendre compte des abus qui en ont été faits. Le suspense que vient entretenir aujourd'hui le parti au pouvoir, Nida Tounès, n'est moins rien qu'un feuilleton artificiel pour faire diversion et surtout une lutte acharnée pour le leadership et le pouvoir, une querelle entre personnes et non autour d'un choix ou d'une idéologie. Lorsque l'on parle de centaines de projets en stand by ou totalement bloqués, alors que le chômage sévit, l'on se dit que ce pays a été quelque peu trahi et que ceux qui seront aujourd'hui au pouvoir ne daignent pas expliquer ou du moins convaincre les Tunisiens de se remettre au travail, de consentir quelques sacrifices pour la Tunisie afin que ce pays se redresse progressivement. Dernière diversion, on se souvient enfin de cette jeunesse mise à l'écart pour enfin organiser un forum à son intention. N'est-ce pas trop tard pour une jeunesse déçue, tenue loin des arènes politiques, alors qu'elle aurait dû être associée dès le départ aux rêves du pouvoir ? Il y a des promesses qui sonnent faux. Tous ceux qui sont au pouvoir, de droite comme de gauche, tout autant que l'opposition, pour autant que ce clivage politico-idéologique soit encore une quelconque pertinence conceptuelle, se devraient de méditer avec le sérieux qui sied en pareil et historique anniversaire que la Tunisie restera debout, et que les Tunisiens crieront : «Don't cry, the beloved country».