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L'inlassable conteuse de l'Amérique noire
Délivrances, God Save The Child, de Toni Morrison
Publié dans La Presse de Tunisie le 15 - 09 - 2015

Les éditions Christian Bourgois viennent de traduire en français Délivrances, le onzième roman de l'Américaine Toni Morrison, qui s'intitule en anglais God Save The Child. A 84 ans, la grande dame des lettres africaines-américaines, Prix Nobel de littérature 1993, n'a rien perdu de la puissance et de la pertinence qui caractérisent son œuvre transgressive, marquée par la révolte contre l'Amérique blanche et patriarcale.
Il y a quelque chose de testamentaire dans le nouveau roman au titre biblique de Toni Morrison, qui vient de paraître en français. Son histoire campée résolument dans l'époque actuelle, Délivrances, revient aux thématiques chères à l'auteure : malédiction de la couleur de la peau, violences physiques et psychiques, traumatismes de l'enfance, identités bafouées, femmes au bord de crise de nerfs, musique comme libération... A travers ces thèmes qui sont autant de pistes de réflexion sur le devenir «noir» dans la société américaine contemporaine, Morrison trace la voie vers une « délivrance » qui ne peut être que plurielle dans la perspective historique et collective qui est la sienne.
Elle raconte des récits réalistes, mais en même temps emblématiques de l'oppression de l'homme par l'homme et de la lutte pour la survie. Pour les Noirs américains, cette survie passe parfois par la mort, comme dans cette histoire qui se déroule au XVIIe siècle, où une mère noire tue son enfant pour lui épargner la souffrance et les traumas d'une existence dominée. C'est le thème de Beloved, sans doute le roman le plus connu de Morrison qui obtiendra le prix Pulitzer pour la fiction en 1987. Si la narration est souvent complexe, déconstruite et polyphonique, les romans de Morrison se caractérisent par leurs phrases courtes et simples, cadencées, et leur atmosphère sombre où le réel et le magique cohabitent comme dans un conte.
Son dernier roman, Délivrances, est un conte moderne nourri de cruautés, de passions et de quêtes. Le récit se déroule dans l'Amérique d'aujourd'hui où les jeunes Noirs sont abattus encore impunément dans les rues des grandes villes. C'est la version contemporaine des lynchages d'autrefois et des «Strange fruits» que chantait Billie Holiday. L'oppression raciale se poursuit sous ses avatars nouveaux.
Comment s'étonner dans ce contexte que la naissance d'une enfant noire dans une famille de «mulâtres au teint blond» soit vécue comme une malédiction? Le roman s'ouvre sur les lamentations de la mère de la protagoniste : «Ce n'est pas de ma faute. [...] Il n'a pas fallu plus d'une heure après qu'ils l'avaient tirée d'entre mes jambes pour se rendre compte que quelque chose n'allait pas. Vraiment pas. Elle m'a fait peur, tellement elle était noire. Noire comme la nuit, noire comme le Soudan...».
Lula Ann Bridewell est si noire que sa maman aurait bien aimé l'étouffer au berceau, mais elle ne donnera pas, en fin de compte, libre cours à ses instincts. Conscience chrétienne oblige! Elle refusera toutefois de lui donner le sein. Pour éviter d'être embarrassée en public, elle apprendra aussi à l'enfant de l'appeler «Sweetness» au lieu de maman. C'est seulement lorsque, petite fille, Lula Ann fera un faux témoignage contre une institutrice accusée de pédophilie allant dans le sens de l'opinion publique, qu'elle lui adressera les premiers signes d'affection maternelle.
Ces traumatismes d'enfance n'empêcheront pas Lula Ann de devenir une jeune femme épanouie et réussir sa vie professionnelle. Cadre dynamique dans une entreprise de cosmétiques, elle se fait désormais appeler «Bride» tout court, sans doute parce que c'est plus sexy et au diapason de l'air du temps où tout le monde s'époumone en criant «Black is beautiful» et fait semblant d'y croire.
Plus optimiste que les précédents livres de la romancière, Délivrances est un récit de maturité. Certes, son intrigue principale se déroule sur fond d'hypocrisies sociales et de cruautés, dépeintes ici avec beaucoup de justesse. Certes, les personnages de Morrison sont toujours animés par la colère, la passion et la révolte. Ils sont abîmés par la vie et les traumatismes de leur enfance, mais ils entrevoient, malgré tout, une possibilité de rédemption. Pour la protagoniste du récit, Bride, le chemin vers la délivrance passe par des transformations physiques qui relèvent autant du réalisme magique que de la symbolique psychanalytique. C'est une des trouvailles les plus originales de ce livre qui transforme le corps féminin en un lieu de lutte et de résistance.
«Résistez encore et toujours!», c'est peut-être cela le message, en fin de compte, de l'œuvre singulière et féconde de Toni Morrison. Je résiste, donc je suis, pourrait être le dernier mot de Bride, dont l'héroïsme et le courage n'ont égal que le poids social qui pèse sur ses frêles épaules.


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