Jacques Fieschi est l'un des scénaristes français les plus courtisés. Critique de cinéma, scénariste et réalisateur, il est l'auteur de plusieurs grands films du cinéma français comme Police de Maurice Pialat, Place Vendôme et Un balcon sur la mer, de Nicole Garcia, entre autres. Jacques Fieschi était à Tunis pour animer les Ateliers «Sud Ecriture», il nous a accordé cet entretien. Ce n'est pas le premier atelier de scénario que vous dirigez en Tunisie pour Sud Ecriture... Pas du tout. Cela dure depuis des années. Lorsqu'on m'a parlé de l' idée des ateliers Sud Ecriture j'y ai tout de suite adhéré. J'étais très curieux de vivre cette expérience qui m'enrichit, à tout prendre. Ensuite il y a une complicité qui s'est installée entre moi et les femmes qui font sud Ecriture, à savoir Dorra Bouchoucha, Lina Ben Chaâbane et Annie Djamal et ça m'a donné envie de revenir. La formule de Sud Ecriture est très bonne et très «heureuse», j'ai envie de dire dans la mesure où il s'agit de deux sessions où on découvre les scénarios et puis on rentre dans «sa chair» en faisant du «page à page» après un commentaire général. Tous les participants prennent part à ces commentaires avec l'auteur. Les auteurs prennent quelques mois pour réécrire leur scénario dans le sens des orientations indiquées avant de présenter une nouvelle version. Et il est possible, qu'à la fin de ces deux sessions, le scénario soit plus accompli. Selon vous, les écritures cinématographiques du sud sont-elles en train d'évoluer ? Je sais qu'il y a beaucoup de difficultés d'autant plus que dans ces pays on ne produit pas beaucoup de films et il y a beaucoup de rivalités (j'en ai tout à fait conscience). Mais je vois des films du sud de plus en plus différents qui voient le jour et je peux vous dire que j'apprends quelque chose de ces cinématographies. J'apprends quelque chose sur les pays que je visite à travers les scénarios, sur d'autres mythologies, d'autres attitudes, d'autres structures mentales et sociales. C'est une sorte d'éducation supplémentaire pour ma sensibilité. Dans les projets du Maghreb et d'Afrique de l'ouest que je découvre, il y a beaucoup d'aspiration et même si pour les auteurs qui viennent de ces pays c'est compliqué de se frayer un chemin jusqu'au moment où le film se matérialise. Contrairement à la France, dans ces pays-là il n'y a pas de système pour le cinéma même s'il y a des structures mais il y a des désirs de faire du cinéma et plein de sujets à traiter. Par quoi expliquez-vous la crise du scénario dans un pays comme la Tunisie pourtant issue d'une culture du récit et d'une tradition de contes ? C'est vrai que dans les pays du Maghreb et en Afrique il y a la culture du conte, il y a la culture orale et le goût des récits mais après il faut changer de discipline... Il faut que toutes ces traditions de récit se déplacent dans une forme d'expression qui, elle, n'est pas traditionnelle et qui a dû inventer sa propose forme de récit. Je prends par exemple la notion du conte au cinéma : elle n'est pas si facile à faire parce que le cinéma est majoritairement réaliste. Toute cette qualité d'illusion, d'imagination, de rhétorique dans la littérature n'est pas immédiatement utilisable dans le scénario. Et le cinéma c'est quelque chose de bâtard entre l'argent, l'art, l'ambition... et il y a eu toutes les formules. Bien sûr que le cinéma tunisien ou arabe doit puiser dans ces récits mais il doit lui donner une autre forme et le réinventer. Car le cinéma c'est ça : comment réinventer un récit. Comment peut-on raconter une belle histoire au cinéma ? Pour moi il n'y a pas de loi du récit! Bien sûr qu'il y a des habitudes qui peuvent devenir rapidement des ficelles dont il faut se méfier d'ailleurs. Un sujet c'est l'intuition d'une histoire. C'est quelque chose qui vous frappe et on se dit : tiens on pourrait raconter cette histoire. Après, chaque sujet doit inventer son propre mode de narration. Il y a beaucoup de manuels de scénario américains, entre autres, qui vous disent qu'à telle ou telle minute telle ou telle chose doit se passer. Et là j'ai peur qu'on appauvrisse la fiction en la formatant et en l'alignant sur un certain nombre de données de narration qui peuvent avoir un caractère artificiel. Quand on pense que «Les grecs ont tout dit», faut-il plutôt travailler sur les structures narratives plutôt que sur le fond ? Le cinéma a dû s'inventer lui-même à la différence de la tragédie du théâtre et du roman. Du muet au parlant et jusqu'à aujourd'hui, le cinéma a continué à se réinventer. Maintenant il faut qu'il continue à s'exprimer de façon forte. Trouver des formes nouvelles, certains, semble-t-il, y parviennent. Un cinéaste comme Lars Von Trier a apporté quelque chose d'assez neuf. Gus Van Sant a apporté quelque chose de nouveau notamment avec Elephant. Personnellement je trouve qu'ils me montrent quelque chose que je n'ai pas vue. Il y a aussi des formes qui ont l'air conservatrices et qui ne le sont pas tant que ça. Il y a aussi des formes qui paraissent nouvelles et qui sont du «toc» au fond. Faut -il inventer une nouvelle forme de récit pour la génération qui a grandi avec internet ? Quelle que soit la génération, à mon avis l'objet cinéma ne doit pas disparaître. Il y a quelque chose qui doit rester de l'objet cinéma pour moi. Avec le numérique par exemple , à partir du moment où toutes les images semblent possibles, on risque de ne plus surprendre du tout avec aucune image. Il risque d'y avoir une sorte d'auto-annulation du caractère spectaculaire de l'image. Un film comme le dernier «Guerre des étoiles», s'il peut nous toucher encore, c'est parce qu'il reste artisanal. Et c'est pour cela qu'il faut garder quelque chose du cinéma artisanal, autrement toutes les images possibles s'annulent et on risque de se retrouver les bras ballants. Or, il ne s'agit pas d'être noyé par les images. Une image il faut la choisir, la trier et l'élire. Certains, même dans les productions américaines, sont conscients qu'il ne faut pas banaliser l'image en lui assignant tous les possibles. L'image doit rester quelque chose de rare et d'élu ! Maintenant je dirai qu'il n'y a pas de scénarios à venir il y a la conviction d'un sujet qui doit s'enraciner. Faire un film c'est quelque chose qui doit vous habiter, vous fatiguer . Je dirai que ça ressemble à quelque chose de dangereux pour vous !