Hend Megdiche de Tunisie, Cyril Danina et Achille Ronaimou du Tchad et Fama Sow du Sénégal : quatre jeunes cinéastes africains qui se penchent assidûment sur leurs scénarios de premier long-métrage durant cette semaine. Cela se passe à Dar Marsa Cubes, et ils sont les auteurs des projets sélectionnés pour le trentième atelier Sud Ecriture. Créé en 1997 avec le soutien du Centre national du cinéma (CNC) en France et l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), cet atelier propose une aide à la réécriture à des auteurs d'Afrique ou du Moyen-Orient, qui en sont à leur premier ou deuxième long-métrage. Deux ateliers espacés de 10 semaines leur permettent, avec l'aide et l'expérience d'un scénariste de renommé, de peaufiner leurs scénarios. Pour cette session de Sud Ecriture, l'atelier-aller a eu lieu du 14 au 21 septembre 2015 à N'Djamena. L'atelier-retour est en train de se dérouler à Tunis, dans un cadre qui titille inspiration et créativité. Dans la salle où se tient l'atelier, les quatre participants son entourés de tableaux de peinture, de céramiques. Installés autour d'une table shabby chic, scénarios entre les mains, Hend, Cyril, Achille et Fama sont accompagnés par le critique, scénariste et réalisateur français Jacques Fieschi (Les destinées sentimentales, Coco avant Chanel, Un balcon sur la mer...), la productrice tunisienne Dora Bouchoucha, directrice de Sud Ecriture, et Annie Djamal, coordinatrice et cofondatrice des ateliers. «Une journée est consacrée à discuter en groupe du scénario de chaque participant, puis je travaille avec chacun d'eux individuellement», nous explique Jacques Fieschi à propos de l'atelier en cours. Mercredi dernier, c'était au tour du Tchadien Achille Ronaimou. Son film Dia, le prix du sang est un drame social où «Dane, chauffeur, mène une vie paisible avec sa famille jusqu'au jour où tout bascule. Il connaît un accident de circulation au cours duquel succombe un élève de 12 ans qui rentrait de l'école. Les parents de ce dernier réclament la Dia, le prix du sang...». Achille lit son scénario et reçoit les remarques qui vont lui permettre de réécrire. Les avis de tous comptent. On lui propose de hacher les dialogues dans certains passages, de modifier quelques éléments narratifs. Ecriture artisanale, dans la chair du scénario «Ecrire tout en ayant en tête la chorégraphie de sa mise en scène», conseille Jacques Fieschi. «On travaille sur la chair-même du scénario, page à page, sur chaque scène. C'est un travail artisanal pour améliorer l'écriture», nous résume-t-il. A ce stade avancé des travaux de l'atelier, il s'agit surtout d'éliminer les contradictions et les ambiguïtés. Et puis, il y a l'exercice délicat de trouver les mots justes dans le dialecte du pays, en harmonie avec sa culture. Le film d'Achille Ronaimou s'inspire de la réalité complexe du Tchad et ne ménage pas des tabous comme la religion. Auteur de deux courts-métrages et de deux documentaires, il en est, comme tous les participants, à son premier long-métrage. A part Cyril Danina qui a fait la Femis, aucun participant n'a fait d'études en cinéma, mais ils sont passés par plusieurs formations, et ont des courts-métrages à leurs actifs. Hend Megdiche, la participante tunisienne, a fait Arts et métiers et a déjà réalisé un court-métrage en 2009, dans le cadre de «10 courts pour une cause». Son scénario, «Accord parfait», est un drame psychologique autour d'une jeune fille, son univers et sa passion «dévastatrice» pour son psychothérapeute. «Au cours de l'atelier Sud Ecriture, mon scénario a beaucoup évolué. On a travaillé sur la structure, approfondi la psychologie des personnages qui sont devenus plus vrais, plus étudiés», nous décrit-elle. Fan de Fight club, elle imagine son film en caméra portée, avec un rythme saccadé. L'univers de son scénario est différent de celui de ses camarades, mais il y a quand même une tendance. «On traite tous de la réalité sociale et politique qu'ont vit et des préoccupations de notre génération», pense-t-elle. Pour Jacques Fieschi, l'intérêt de l'atelier réside également dans la différence des approches. «J'apprends sur les sociétés des participants, leurs cultures et j'essaye de les respecter. Il s'agit de trouver la nécessité interne du projet et la suivre, sans imposer son point de vue», argumente le scénariste français. 20 ans de Sud Ecriture Annie Djamal, organisatrice et cofondatrice Sud Ecriture, est témoin de l'évolution des ateliers depuis leurs débuts en 1997. «Il y a une amélioration incontestable, surtout depuis quelques années. Les cinéastes veulent parler de leurs pays, de leurs conditions de vie et se réapproprier leurs images», constate-t-elle. Elle nous donne des exemples de cinéastes qui sont passés par la case Sud Ecriture en Tunisie : Leyla Bouzid, Fares Nanaa, Mohamed Ben Attia... «Dans les thèmes traités, il y a une immersion dans la société telle qu'elle est. Les scénarios sont ancrés dans le présent», ajoute Annie Djamal, qui explique cela par l'effet des nouvelles technologies qui ont donné plus d'échanges et de brassages, et une autre dimension à la cinéphilie. Les ateliers sont justement nés du constat qu'il y avait un problème de scénarios en Afrique, avant d'intégrer également le Moyen-Orient, nous apprend-elle également. Quant au futur de cette aventure, Annie Djamal le voit dans le fait de «s'attacher à rendre l'écriture réaliste et de qualité. Comment mettre son idée sur papier et la concrétiser?».