Par Abdelhamid GMATI Avec la fin du marathon des négociations salariales dans le secteur privé, qui a débouché sur un accord entre l'Ugtt et l'Utica, on pouvait prétendre à une paix sociale nécessaire au développement du pays. Mais des manifestations et des heurts violents ont refroidi cet espoir. Ces heurts qui ont éclaté, depuis trois jours, entre des manifestants et les forces de l'ordre dans la ville de Kasserine, ont fait vingt-trois blessés, dont vingt civils, la plupart des cas d'asphyxie, et trois militaires et policiers. Et malgré l‘instauration du couvre-feu, les affrontements se sont poursuivis et se sont étendus à d'autres villes du gouvernorat (Thala, Fériana) et à d'autres régions (Sidi Bouzid). Motif : un jeune homme qui s'était suicidé en signe de protestation contre la suppression de son nom de la liste des recrutements des jeunes qui ont tenu un sit-in au sein du gouvernorat. Ces événements suscitent questionnements et réflexions. Comment se fait-il que ce suicide déclenche cette vague de protestations ponctuées d'actes de violence ? Depuis la révolution, on a enregistré 203 suicides en 2014, et 304 en 2013 et plus de 250 en 2015. Plus de 55% des candidats au suicide sont des jeunes et 5% sont des enfants. Ce phénomène déplorable avait intéressé surtout les psychothérapeutes, les sociologues et les organismes en charge de l'enfance. A Kasserine même, il y a eu des suicides et tentatives de suicide ces derniers temps. A Bizerte, il y a eu 3 suicides ces derniers jours. Mais cela n'a donné lieu à aucune manifestation ni usage de violences. Alors, pourquoi ces affrontements à Kasserine ? Certes, revendiquer, protester, manifester est normal dans un pays qui s'initie à la démocratie ; mais pourquoi s'attaquer aux sièges du gouvernorat, de la garde nationale et à la mairie ? Et pourquoi avoir recours à la violence avec des jets de pierre contre les forces de l'ordre, blocage de route et autres moyens ? D'où la riposte violente des forces de l'ordre avec usage de gaz lacrymogène. A cette interrogation, le gouverneur avance une explication. Selon lui, « ce mardi 19 janvier 2016, des individus ont infiltré le groupe de demandeurs d'emploi qui se sont réunis devant le siège du gouvernorat et ont provoqué la violente manifestation qui a secoué la ville. Le groupe qui s'est infiltré parmi les chômeurs a commencé à jeter des pierres sur les agents des forces de l'ordre ». Ceci est d'autant plus troublant que des âmes bien intentionnées se sont empressées d'attiser le feu, dramatisant les événements et s'ingéniant à présenter les Kasserinois comme des « marginalisés », des « oubliés », des « victimes ». Oui, la région de Kasserine n'a pas suscité l'intérêt des gouvernants qui se sont succédé depuis l'indépendance. Mais elle n'est pas la seule, d'autres régions sont dans le même cas. Il y a eu plusieurs manifestations et l'un des objectifs de la révolution était de mettre fin à la marginalisation. Et l'une des revendications est le développement des régions. Parmi « les attiseurs de feu », on compte plusieurs députés à l'ARP. L'un d'entre eux a parlé de « nouvelle révolution » alors qu'un autre qualifiait le jeune suicidé de « martyrs de la pauvreté ». Il oublie que le terme martyr a une connotation religieuse et qu'un suicidé ne peut prétendre être martyr. Où irions-nous si tous ceux qui souffrent de la pauvreté, et ils sont très nombreux en Tunisie et ailleurs, se suicidaient ? Certains ont été jusqu'à brandir la menace de voir ces jeunes rejoindre les terroristes aux monts avoisinants. Déplorable On pourrait aussi s'interroger sur le comportement et l'inaction des députés de la région. Ont-ils exposé la situation dans la région ? Combien de fois l'ont-ils visitée ? Le gouverneur a parlé de plusieurs projets, en suspens, économiques pourvoyeurs d'emplois. Pourquoi n'ont-ils pas pressé le gouvernement à réaliser ces projets ? Et les Kasserinois, eux-mêmes, se sont-ils préoccupés de leur région ? La région compte beaucoup d'hommes d'affaires, de diplômés et de cadres. Mais ils préfèrent s'installer à Tunis à l'instar de ces médecins spécialistes qui travaillent à Tunis alors que l'hôpital régional manque terriblement de praticiens spécialistes. En définitive, la pauvreté est abjecte et le chômage aussi. Mais ce n'est pas en pratiquant le populisme et en détruisant les symboles de l'Etat qu'on résoudra les problèmes.