En recevant, vendredi dernier, M. Mansour Moalla, économiste et ex-ministre du président Bourguiba, le président Béji Caïd Essebsi a sans doute voulu faire d'une pierre deux coups D'un côté, il exerce ce qu'il appelle volontiers le magistère. A l'entendre, il est bien élu au suffrage universel, qui plus est suite à un scrutin tranché. Il affirme aussi que si la Constitution est parlementaire, l'opinion, elle, est présidentielle, voire présidentialiste. On ne le sait peut-être pas assez, Béji Caïd Essebsi est très influencé par Bourguiba et de Gaulle. Il dévore d'ailleurs tout ce qui est écrit sur eux ainsi que sur François Mitterrand. Et BCE croit dur comme fer avec de Gaulle que le rôle du Président ne doit pas se limiter à «inaugurer les chrysanthèmes», par allusion aux plantes consacrées au fleurissement des tombes pour le jour des défunts. Ayant officié en tant qu'ambassadeur à Bonn, il cite l'exemple du président allemand qui, bien qu'étant élu par un collège de grands électeurs, exerce volontiers son magistère. Et en impose à tous, le chancelier en prime. En second lieu, le président de la République compte bien s'immiscer là où le gouvernement de Habib Essid a largement failli. Il a invité M. Mansour Moalla autour de la question cruciale de l'emploi et du chômage massif, notamment des jeunes diplômés du supérieur. A bien suivre l'échange entre les deux vieux briscards, on se rend compte de l'ampleur des dégâts. Jusqu'ici, une année après l'investiture du cabinet Habib Essid, on ignore toujours le nombre exact des chômeurs. Pis encore, aucun programme d'envergure n'a été mis en place. Ce qui équivaut à naviguer à vue et à reculons. BCE se substitue en quelque sorte au chef du gouvernement et veut mener à terme une véritable stratégie en matière d'emploi. Le mélange des genres constitutionnels, prérogatives du chef du gouvernement et du président de la République obligent ? BCE n'en a cure. L'essentiel est de montrer à l'opinion déboussolée et désespérée qu'il y a bien un commandant dans l'avion. Et cela intervient précisément au lendemain des péripéties des scissions, alliances et contre-alliances au sein du parti Nida Tounès. Béji Caïd Essebsi y a lui aussi laissé des plumes en termes d'image. L'engagement de la présidence de la République y était patent, via notamment Ridha Belhaj, ministre chef du cabinet présidentiel, condamné depuis à la démission. Il était l'allié de choix de Hafedh Caïd Essebsi, propre fils du président et leader de l'une des factions fratricides à Nida. Ce faisant, Béji Caïd Essebsi joue sur le temps. Les derniers mois ont été particulièrement difficiles pour tous. Les gens sont franchement déçus. Des programmes électoraux des différents partis de la place, rien n'a été fait. Et il y a bien des risques de vote-sanction lors des prochaines échéances électorales à l'endroit de tous les partis de la place, Nida Tounès en prime. Reste à savoir si M. Mansour Moalla est la personne indiquée pour l'éradication du chômage massif. Certes, il a bien présenté, le 3 février 2016, une proposition pour la résorption du chômage. Et il se prévaut en plus d'une haute expertise en matière économique. Il est d'ailleurs d'usage de confier des dossiers de première importance à des experts dont la compétence ne fait guère de doute. D'autres personnes, dont M. Imed Derouiche, ont présenté des propositions sérieuses et dignes d'intérêt dans ce sens. Des questions demeurent cependant en suspens. Le chef du gouvernement devra-t-il se plier à l'initiative présidentielle ? En d'autres termes, devra-t-il faire, sans rechigner, avec le présidentialisme de fait institué par M. Béji Caïd Essebsi ? Autrement, sera-t-il démis d'une manière ou d'une autre ? Pour l'instant, on n'en sait encore rien. Face à l'inconsistance du gouvernement Essid en matière de stratégie économique, le président Béji Caïd Essebsi semble décidé à prendre le taureau par les cornes. Voire à redorer son blason, ayant pâti lui aussi des dernières passes d'armes au sein de Nida Tounès. En tout état de cause, la rencontre BCE-Moalla met au jour les carences fondamentales d'un gouvernement qui se contente jusqu'ici de la gestion des affaires courantes. Et dont le semblant de stratégie se résume en un mot impopulaire et scabreux: l'austérité.