Dispositions transitoires, maintien des mesures exceptionnelles, nomination d'un chef de gouvernement, loi électorale, en s'adressant lundi soir aux Tunisiens, depuis Sidi Bouzid, le Chef de l'Etat a dressé, ou presque, la feuille de route de la prochaine phase politique. En dépit de quelques messages implicites, peu clairs et ouverts à toutes les interprétations, le Chef de l'Etat a, sur un ton fort, annoncé son passage à l'acte II après avoir suspendu le Parlement et pris tout le pouvoir exécutif. Une chose est sûre, pas de retour à l'avant-25 juillet pour le locataire de Carthage. Lundi soir, les Tunisiens ont été surpris par une annonce sur la première chaîne nationale : le Président de la République s'adressera au peuple tunisien depuis Sidi Bouzid. On s'attendait donc à des annonces majeures pour la prochaine phase politique, d'autant plus que Kaïs Saïed est au centre de l'attention médiatique nationale et internationale depuis les événements du 25 juillet. Après avoir explicité ses décisions du 25 juillet, dénoncé les actes de trahison et de complot, critiqué le rendement de la classe politique, Saïed s'est prononcé sur son projet politique et ses prochaines décisions, toujours fidèle à lui-même, dans un langage mystérieux et peu clair. Sauf que les messages politiques clés étaient multiples. Le Président de la République s'est en quelque sorte livré sur son projet politique pour la prochaine étape en annonçant surtout la promulgation des dispositions transitoires qui n'ont pas été, jusqu'à la rédaction de ces lignes, explicitées. Kais Saied évoque en effet la poursuite des mesures exceptionnelles décrétées, le 25 juillet dernier, mais aussi la mise en place de nouvelles dispositions transitoires pour gérer le pays. Lors d'une visite «non annoncée» au gouvernorat de Sidi Bouzid au cours de laquelle il a assisté à un meeting au siège du gouvernorat, le Président a souligné aussi la désignation, sous peu, d'un chef du gouvernement et la mise en place d'une nouvelle loi électorale. «Il n'est pas question de revenir sur les décisions du 25 juillet», a lancé le Président lors d'une allocution prononcée à cette occasion, assurant que ces mesures «sont venues sauver le pays d'un danger imminent». Mais selon la lecture des constitutionnalistes, les dispositions transitoires évoquées renvoient à une phase de transition politique qui pourrait marquer la suspension de la Constitution. La professeure en droit constitutionnel, Mouna Kraiem, est du même avis. Pour elle, les dispositions transitoires évoquées par le Chef de l'Etat sont synonymes de la suspension de la Constitution, car selon sa version, en les évoquant, le locataire de Carthage sort du cadre de l'article 80 sur la base duquel il avait annoncé les dispositions exceptionnelles. Pas si sûr ! Pour sa part, le frère du Président de la République, Naoufel Saied, qui a pris dernièrement l'habitude d'expliquer les sorties médiatiques du Président, a estimé que ces dispositions ne renvoient pas forcément à la suspension de la Constitution. «Celui qui cherche à comprendre le sens des dispositions transitoires dans le droit constitutionnel pourrait revenir au chapitre 10 de l'actuelle Constitution», écrit-il dans un post sur sa page officielle Facebook. Dans ce contexte de flou, le professeur en droit constitutionnel Sghayer Zakraoui a appelé le Président de la République à sortir de cette situation d'incertitude et à publier les dispositions transitoires portant organisation des pouvoirs publics dans cette période. «Le Chef de l'Etat, vu les pressions de l'étranger, mais aussi en Tunisie, aura une semaine pour donner la couleur de la prochaine étape et nommer un nouveau chef de gouvernement», a-t-il conclu. «L'annonce de la mise en place de dispositions transitoires signifie forcément la suspension de la Constitution », a affirmé le professeur de droit constitutionnel Abderrazak Mokhtar. Il a estimé que «chercher des solutions en dehors de la Constitution mettrait en danger cette période et ses horizons politiques». Contrairement à ces avis, Salsabil Klibi, l'autre spécialiste en droit constitutionnel, explique que le Chef de l'Etat n'a pas besoin de dispositions transitoires étant donné le fait que l'article 80 de la Constitution qu'il avait activé stipule des dispositions exceptionnelles organisant les pouvoirs publics. «Les dispositions transitoires vont servir à quoi ? A passer d'une phase constitutionnelle à une autre comme cela a été le cas en 2011 ?», s'est-elle demandée. Quoi qu'il en soit, le Chef de l'Etat ne s'est pas, encore une fois, montré clair quant à la question des dispositions transitoires évoquées, mais il a clairement annoncé un nouveau projet d'une loi électorale «selon laquelle le député sera redevable envers ses électeurs et rendra compte». Réactions mitigées Ce discours, dont la retransmission en direct a été interrompue à plusieurs reprises, fait débat et les réactions politiques n'en manquent pas. Le parti Echâab était le premier à réagir aux annonces du Président de la République par le biais de son secrétaire-général Zouhaier Maghzaoui. Ce dernier affirme que sa structure politique cautionne parfaitement les annonces du Président de la République faites, lundi, estimant que le choix de Sidi Bouzid pour prononcer ce discours au peuple est un «choix symbolique». Il estime que «la Tunisie peut maintenant reprendre son souffle. En attendant la formation d'un nouveau gouvernement pour déclencher un nouveau dynamisme et entamer les réformes économiques et sociales profondes». Pour sa part, le député du mouvement Ennahdha, Samir Dilou, s'est interrogé sur les mécanismes que compte activer Kais Saied afin d'adopter des mesures transitoires et de réviser la loi électorale, comme annoncé. Toutefois, il a dénoncé ce qu'il appelle une criminalisation collective de la classe politique, ajoutant que « les dépassements politiques sont sanctionnés à travers le vote ». Nabil Hajji, député affilié du Courant démocrate, a, lui, estimé que le discours prononcé par le Président de la République Kaïs Saïed «était pour le moins décevant». Soulignant des «failles communicationnelles énormes» dans ce discours, il a affirmé que cette sortie médiatique manque même des ABC en matière de communication. Du côté de Qalb Tounès, l'on continue de tirer à boulets rouges sur les décisions du Président de la République. Le député Iyadh Elloumi est allé jusqu'à déclarer «que le Président de la République est devenu un danger pour le pays». «Il est clair que le Président de la République cherche la confrontation et l'accomplissement d'actes en dehors des prérogatives prévues par la Constitution ! Il a enfreint l'article 72 qui le présente comme symbole de l'unité de l'Etat !», a-t-il déclaré. En tout cas, les annonces faites au soir du lundi doivent impérativement être accompagnées de décisions concrètes à même de dissiper le flou persistant. Une feuille de route constitutionnelle et politique fondée sur une vision concertée et participative est indispensable pour trouver une issue à cette situation, s'accordent les observateurs.