La position tunisienne ne doit guère souffrir l'équivoque ou quelque brouillage des messages. L'enjeu est trop grand pour être laissé aux envolées lyriques et autres sautes d'humeur Les propos de M. Farhat Horchani, ministre de la Défense, exprimant son «soutien» aux frappes ciblées contre Daech en Libye constituent un exemple navrant des dérapages gouvernementaux en matière de communication. Une déclaration en porte-à-faux des propos du ministre des Affaires étrangères, M. Khmaies Jhinaoui, le même jour à Rabat. M. Jhinaoui avait pourtant réitéré la position tunisienne. Il appartient aux autorités libyennes de décider, dans tous les cas de figure. Et la Tunisie est, de prime abord, contre toute intervention étrangère en Libye. Du coup, le gouvernement semble camper deux sons de cloche, non point différents, mais antagoniques. La présidence de la République elle-même est prise de court. On croit même savoir qu'elle s'en est enquise auprès du ministre de la Défense. En Libye et ailleurs, cela a été très mal perçu. Soyons clairs. Le gouvernement de M. Habib Essid multiplie les bourdes et les déclarations à l'emporte-pièce pour le moins contreproductives. A en croire que certains membres du cabinet le font exprès. Et cela ne semble guère les offusquer outre mesure. Au point de se demander s'il y a vraiment une ligne de conduite claire en la matière. La Libye, justement, parlons-en. La position tunisienne ne doit guère souffrir l'équivoque ou quelque brouillage des messages. L'enjeu est trop grand pour être laissé aux envolées lyriques et autres sautes d'humeur. Le président de la République s'est bien exprimé là-dessus, devant un parterre de diplomates étrangers. Le ministère des Affaires étrangères aurait dû publier un communiqué clair, net et précis à ce propos. Et les ministres et autres responsables politiques doivent impérativement s'y conformer. Parce que la Tunisie officielle doit s'exprimer d'une seule voix. Il s'agit bien d'une séquence fondamentale de la politique internationale, le cessez-le-feu ayant été décrété depuis peu en Syrie. En même temps, les Italiens ont officiellement donné l'autorisation aux Etats-Unis d'Amérique d'utiliser des bases militaires en Sicile pour des frappes en Libye. Et l'on fait cas de pas moins de cent dix huit cibles terroristes en Libye identifiées déjà par les Américains. La Tunisie est forcément le premier pays à subir les contrecoups des évolutions en Libye, quelles qu'elles soient. C'est même un surplus de ce que la Tunisie subit déjà eu égard aux violences et au chaos armé en Libye. Le terrorisme, le trafic d'armes et de marchandises, la contrebande et les flux migratoires massifs pèsent tragiquement sur notre pays en raison de la situation libyenne. En cas de frappes massives chez notre voisin, la Tunisie sera le premier pays à devoir faire face à un sauve-qui-peut généralisé engageant des ressortissants de nombreux pays, en plus des Libyens proprement dits. Et pour cause, toutes les frontières libyennes sont cadenassées, hormis celles avec la Tunisie. L'attitude tunisienne gagne à être minutieusement étudiée, sous ses différents aspects. Le Conseil national de sécurité s'est bien réuni en fin de semaine. Des directives ont été adressées aux responsables des gouvernorats frontaliers. Différents scénarios sont examinés. En politique, un gouvernement averti en vaut deux. Mais la politique instruit aussi qu'il ne faut guère aller trop en besogne. Et ne point vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Dans le conflit intralibyen, la Tunisie n'est guère un protagoniste. Dès que cela déborde sur nos frontières, nous le devenons forcément. Raison pour laquelle il faut bien s'abstenir de tenter le diable. Et savoir raison garder, tout en se préparant à toutes les éventualités. M. Habib Essid gagnerait à tempérer les ardeurs communicationelles de certains de ses ministres. Et adopter lui-même un profil efficient à ce propos. Parce que la communication, ce n'est guère un de ses atouts. M. Farhat Horchani devra, lui aussi, rectifier le tir. En Libye, tout le monde en convient, tout dépendra du nouveau gouvernement qui devrait être opérationnel sous peu. Toute interférence étrangère est vouée à l'échec sans les relais intérieurs libyens. Autrement, le brouillage n'en fera que rajouter au cafouillage.