La société Siame est sous contrôle judiciaire, désormais gérée par trois mandataires judiciaires, suite à la fuite de son actionnaire de référence, Hédi Ben Ayed, embourbé dans le scandale TSI. Ce dernier laisse derrière lui un endettement bancaire important et pourrait bien tenter de mettre la main sur les capitaux considérables placés à l'étranger par sa société. Après le gros scandale TSI, c'est au tour de la Siame d'être rattrapée par la justice. Son patron, Hédi Ben Ayed, n'en finit pas de laisser des casseroles et des victimes derrière lui. Dans un communiqué boursier daté du 7 juillet 2025, on apprend que la Société industrielle d'appareillage et de matériels électriques (Siame) est placée sous contrôle judiciaire, de même que ses nombreuses filiales, et ce depuis le 16 juin 2025. Trois mandataires ont été nommés : ils détiennent désormais tous les pouvoirs de gestion, de convocation et de validation des décisions, lesquelles ne prennent effet qu'après approbation du tribunal. Le gel des comptes a toutefois été levé le 27 juin pour assurer la continuité des activités. La Siame, qui a mis trois semaines pour rendre publique cette décision pourtant majeure, promet d'informer ses actionnaires de toute évolution notable. Malgré son obligation de transparence, justifiée par le fait qu'elle est cotée en bourse, la Siame fait preuve d'une opacité totale quant aux raisons ayant mené à cette décision judiciaire et au séisme qui secoue l'entreprise depuis quelques mois. Rien, absolument rien, n'a été communiqué à la Bourse, au Conseil du marché financier (CMF) ou à ses petits actionnaires, qui détiennent 50,15 % du capital.
Hédi Ben Ayed, un actionnaire fuyard aux affaires multiples Les déboires de la Siame commencent avec la fuite à l'étranger de son actionnaire de référence, Hédi Ben Ayed, qui détient avec sa famille près de 30 % du capital. M. Ben Ayed est impliqué dans un autre scandale qui agite la scène financière tunisienne : celui de l'intermédiaire en bourse TSI, où il détient 20 % du capital. Cette affaire, révélée par Business News en mai dernier, a connu d'importants rebondissements judiciaires en juin. Il est question d'une fraude estimée à quelque 400 millions de dinars, fondée sur un montage financier de type pyramide de Ponzi. Vingt prévenus ont été convoqués par la justice, dont le cabinet international BDO, chargé d'auditer TSI depuis huit ans. Et justement, c'est ce même cabinet BDO qu'on retrouve en train d'auditer les comptes de la Siame. De prime abord, et avant même d'aborder tout détail, il y a quelque chose qui cloche dans cette gestion. Comment se fait-il que le cabinet qui audite TSI soit aussi celui qui audite la Siame, et ce depuis plusieurs années ? Assurément, Khaled Mnif, qui représente BDO, devrait rendre des comptes à la justice et expliquer la nature de ses relations avec M. Ben Ayed, qui semblent aller bien au-delà du simple lien entre un commissaire aux comptes et un client. On notera au passage que, selon les informations de Business News, les clients de TSI subissent encore les conséquences du scandale, puisqu'ils n'ont toujours pas accès à leurs titres et n'ont aucune possibilité de les vendre.
Un groupe au passé industriel respectable… mais aux pratiques douteuses Le cas de la Siame est certes moins explosif que celui de TSI, mais il est aussi question de plusieurs millions de dinars qui pourraient s'évaporer. Fondée en 1974, la Siame était à l'origine une entreprise publique, filiale de la STEG. Son activité consiste à fabriquer et commercialiser du matériel et de l'appareillage électrique (compteurs, disjoncteurs, tableaux, blocs de jonction…), et plus généralement à assembler les pièces détachées entrant dans la composition d'équipements électriques ou électroniques. Dans le cadre de la privatisation, elle a été cédée dans un premier temps (en 1999) à un fonds d'investissement koweïtien, simultanément à son introduction en bourse. En concert avec des personnes physiques et morales, Hédi Ben Ayed a acquis en 2009 quelque 53,46 % du capital. La Siame est aujourd'hui composée de huit filiales qui forment le groupe éponyme. Toutes exercent dans le même secteur : distribution, sous-traitance de matériel électrique, ou prestations de services connexes. Selon les états financiers 2024 du groupe, le chiffre d'affaires consolidé atteint 63 millions de dinars, pour un bénéfice net de 2,2 millions.
Deux réserves majeures passées sous silence Ce qui frappe à la lecture des états financiers et du rapport des commissaires aux comptes, ce sont justement… les absences. Aucune réserve n'est émise dans le rapport sur les états financiers consolidés de la Siame. Ce manque de transparence est non seulement étonnant, mais carrément suspect. En revanche, dans le rapport individuel de l'entreprise, Khaled Mnif émet deux réserves majeures. « Nous avons constaté que la société s'est portée garante d'un engagement bancaire de la société Sitel, société tierce, pour un montant de 3,3 millions de dinars », écrit-il. Cela signifie que la Siame a couvert un crédit bancaire d'une société tierce (la Sitel), ce qui montre qu'elle se porte garante d'une filiale en difficulté, sans provision apparente ni transparence financière. Cela laisse entendre que la Siame pourrait servir de structure de soutien ou de relais à des filiales déficitaires — une pratique assimilable à une gestion anormale, surtout dans le contexte judiciaire actuel. La seconde réserve mentionne que « la société a procédé à la prise en charge d'un engagement au profit de la société Global Injection Electric, société tierce, pour un montant de 320.000 dinars, sans justificatifs probants quant à la contrepartie économique ou juridique ». Là encore, la Siame a assumé des dettes d'une société tierce, sans documentation claire. Cela suggère des relations opaques, voire des opérations de soutien déguisé entre entités proches.
La multiplication des éléments suspects Bien que les deux rapports du commissaire aux comptes ne contiennent « que » deux réserves, les états financiers révèlent plusieurs éléments suspects. Les écarts d'acquisition (goodwill) s'élèvent à 1,64 million de dinars et sont intégralement amortis, ce qui est inhabituel pour des actifs censés générer des effets sur plusieurs années. Le fait que ces montants soient totalement amortis pourrait masquer une surévaluation passée des filiales. La trésorerie nette passe de 1,34 million de dinars fin 2023 à 585 mille dinars fin 2024, soit une baisse de 56 %, et ce malgré un résultat net en hausse. Cela signifie que la trésorerie ne reflète pas la rentabilité affichée. Les flux de financement sont également très négatifs (-2,83 millions de dinars), en partie à cause de dividendes élevés (1,85 million de dinars), ce qui est en total décalage avec une situation financière aussi tendue. Les créances clients douteuses atteignent 3,67 millions de dinars — soit 23 % des créances brutes — un niveau alarmant. Bien qu'elles soient provisionnées à hauteur de 3,3 millions, ce volume traduit une politique commerciale risquée. Le fait que le chiffre ait peu diminué depuis 2023 indique une mauvaise gestion du recouvrement. Des montants anormaux apparaissent également dans les engagements avec les actionnaires et les filiales. Ainsi, on (re)trouve Global Injection Electric, qui bénéficie d'une créance de 678.756 dinars pour la seule année 2024. La société Sitel, quant à elle, affiche 4,1 millions de dinars en tant que fournisseur lié, alors que la Siame s'est portée garante pour elle. Ces chiffres laissent planer un risque majeur de conflits d'intérêts ou d'opérations de couverture intra-groupe, aux frontières de la légalité. Autre élément préoccupant : les avoirs à l'étranger. La Siame détient plus de 1,3 million de dinars immobilisés hors du territoire tunisien, dont un million dans sa filiale algérienne. Certes, la justice a gelé les comptes du groupe en Tunisie, mais qu'en est-il des comptes à l'étranger ? Il ne fait guère de doute que Hédi Ben Ayed a anticipé cette crise et a probablement mis la main sur ces montants, que les nouveaux administrateurs judiciaires devront localiser… s'il n'est pas déjà trop tard.
Un endettement qui ne cesse d'intriguer Le plus inquiétant reste toutefois l'endettement bancaire. Outre son niveau faramineux, des incohérences majeures entachent les chiffres publiés. Ainsi, les dettes bancaires à court terme s'élèvent, au 31 décembre 2024, à 20,7 millions de dinars, selon le rapport du commissaire aux comptes publié en mai 2025. Ce niveau, représentant plus de 30 % du total du bilan, est anormalement élevé et traduit une dépendance extrême au crédit de trésorerie. Or, dans un autre document officiel — les indicateurs d'activité du 1er trimestre 2025, publié par la direction de la Siame en avril 2025 — un autre chiffre apparaît. On y lit : « l'endettement bancaire de la Siame a enregistré au terme du premier trimestre 2025 une augmentation de 904.000 dinars par rapport à son niveau du 31 décembre, soit +3,5 %, passant ainsi de 25,645 millions de dinars au 31 décembre à 26,548 millions de dinars au 31 mars 2025 ». Cette version contredit formellement celle du commissaire aux comptes. Le rapport trimestriel précise que l'augmentation s'explique par le paiement des dettes fournisseurs.
Alors, quel chiffre faut-il retenir ? Celui de la direction, qui affirme que l'endettement au 31 décembre 2024 était de 25,6 millions, ou celui du commissaire aux comptes, qui le fixe à 20,7 millions ? Les deux documents couvrent pourtant la même date du 31 décembre 2024. L'écart de près de cinq millions de dinars ne peut être imputé à une simple erreur d'écriture. Il est d'autant plus louche que ces publications sont concomitantes à l'éclatement de l'affaire TSI et à la fuite de M. Ben Ayed. Ce qui est certain, c'est que l'endettement a continué de croître en 2025.
Une gouvernance en faillite, une justice au pied du mur Au final, l'affaire Siame, bien que moins bruyante que celle de TSI, révèle un schéma tout aussi préoccupant : une gouvernance défaillante, des comptes obscurs, des engagements financiers hasardeux, des liens opaques entre filiales et une fuite massive de capitaux vers l'étranger. L'écart de près de cinq millions de dinars sur l'endettement bancaire, entre ce qu'affirme la direction et ce qu'atteste le commissaire aux comptes, est à lui seul un scandale dans un contexte normal. Il devient explosif lorsqu'il survient dans une entreprise placée sous contrôle judiciaire, dirigée jusque-là par un patron en fuite impliqué dans une fraude de grande ampleur. La justice est désormais face à ses responsabilités. Il ne s'agit plus seulement d'assurer la continuité d'une entreprise cotée, mais de lever le voile sur un système qui semble avoir prospéré sur les failles du contrôle financier, la passivité des autorités de marché et l'indulgence des cabinets d'audit. Si les nouveaux mandataires judiciaires veulent restaurer la confiance, ils devront aller au fond des choses, remonter les flux, identifier les complicités et dire, enfin, la vérité aux actionnaires et à l'opinion publique.
Maya Bouallégui
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