Les grandes lignes sont annoncées, la couleur politique est connue, l'équipe gouvernementale est dévoilée et les intentions sont déclarées. Pour La Kasbah, l'heure du travail a sonné ! Après plus de deux mois de suspension d'activité, la vie a repris au Palais de La Kasbah. Entretiens, échanges téléphoniques, consultations et autres, la Cheffe du gouvernement s'est mise, sitôt le gouvernement formé, au travail. Mais pour elle, la mission n'est guère facile, et les attentes des Tunisiens, après une décennie de mauvaise gestion des affaires de l'Etat, sont énormes. Najla Bouden est en effet devant un exercice périlleux, assurément le plus difficile de sa carrière professionnelle. Saura-t-elle sortir le pays de la crise politique, économique et sociale la plus profonde qu'il n'ait jamais connue ? En tout cas, pour le bien du pays, elle est appelée à réussir sa mission, car autrement, ce sera même l'effondrement que certains évoquent. Maintenant que le gouvernement a été formé, doté d'une importante représentativité féminine, et d'un fort appui politique de la part du Président de la République — d'ailleurs, pour certains, c'est même le gouvernement du Président —, l'heure du travail a sonné. Consciente de l'énormité des défis, notamment d'ordre économique et social, la Cheffe du gouvernement a, au lendemain de la formation du gouvernement, multiplié les entretiens et les échanges téléphoniques dans une tentative d'annoncer la couleur de la prochaine phase dans le pays. Mardi dernier, elle a reçu à La Kasbah un ensemble de ministres pour revenir notamment sur la situation sanitaire et économique dans le pays, parmi lesquel le ministre de la Santé, Ali Mrabet, qui a étalé le développement des derniers indicateurs épidémiologiques, et la ministre des Finances Sihem Boughdiri qui a mis l'accent sur les états et les équilibres des finances publiques. Le ministre de l'Education Fathi Selaouti était également reçu à La Kasbah, une occasion d'évoquer les réformes nécessaires dans ce secteur. Outre les entretiens avec ses ministres, Bouden a également reçu le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, pour discuter des actualités financières et économiques. Sur ce sujet, la Cheffe du gouvernement a appelé tout le monde à mettre la main dans la main pour sortir de cette situation économique difficile. Les lourds dossiers En multipliant les entretiens, la Cheffe du gouvernement semble annoncer la couleur de la prochaine phase en Tunisie, mais surtout de ses priorités. Pour elle, il est primordial de maintenir cette situation de répit compte tenu de l'évolution de l'épidémie liée à la propagation du coronavirus sur le sol tunisien. Il est ensuite capital de trouver une solution durable à la question de la fragilité de l'économie nationale et des finances publiques. A cet effet, la mission de la Cheffe du gouvernement et de son staff ne sera guère facile, à en croire les économistes. Si pour ces derniers, le discours alarmiste a fini par banaliser à long terme les risques économiques aux yeux de la population, le dernier communiqué de la Banque centrale est un signal rouge, en dépit des messages assez rassurants de Marouane Abassi. En effet, le dernier communiqué du Conseil d'administration de la Banque centrale de Tunisie (BCT) ne rassure guère. Evoquant les craintes des bailleurs de fonds et la baisse aiguë des ressources financières extérieures, le conseil s'est dit préoccupé par la situation financière et par l'absence d'un nouveau programme avec le Fonds monétaires international (FMI). De ce fait, Najla Bouden sera amenée à réussir là où tout le monde a échoué : garantir une stabilité économique et financière à long terme. Cela passe, selon ses dires, par l'exécution des réformes économiques nécessaires. «Notre priorité, c'est de trouver les équilibres financiers pour pouvoir opérer les réformes nécessaires», a-t-elle tenu à préciser. Quoi qu'il en soit, tout redressement de l'économie est lié à la situation des entreprises publiques. Ce lourd fardeau financier que traîne l'Etat depuis plusieurs années risque d'exploser à tout moment. Les entreprises publiques ne connaissent pas leur âge d'or, elles sont toutes, ou presque, à la merci des interventions et des aides de l'Etat, autrement elles mettraient la clé sous la porte. A quand la fin de cette situation ? Que faut-il faire pour sauver ces entreprises budgétivores et surtout pour les restructurer ? Bouden doit répondre à ces questions. Sur le plan social, Najla Bouden aura à répondre aux exigences et aux revendications des Tunisiens en matière de pouvoir d'achat et faire face à la hausse des prix enregistrée ces derniers temps. Sanctionnés par une décennie de mauvaise gestion des affaires de l'Etat et par la forte dégradation de la situation sociale, les Tunisiens portent tous leurs espoirs dans ce nouveau gouvernement pour améliorer leur quotidien. Ainsi, maintenir une situation sociale sereine est également dans le collimateur de Bouden. Cela passe certainement par les relations avec la centrale syndicale et avec son premier responsable. Si l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) a fait part de son optimisme quant à la formation du gouvernement, Taboubi s'est dit aussi attaché à la continuité de l'Etat, une manière d'appeler Bouden à honorer les engagements gouvernementaux de ces prédécesseurs envers l'Union. Dans ce sens, Najla Bouden a exprimé sa conviction de l'importance du rôle de l'Ugtt, notamment en ce qui concerne « l'impulsion de l'action gouvernementale pour la réalisation des résultats positifs dans tous les dossiers en cours». Lutte contre la corruption L'autre dossier qui sera sur la table de Najla Bouden n'est autre que la lutte contre la corruption, une promesse du Président de la République à l'issue des événements du 25 juillet. En effet, en désignant Bouden à la tête de La Kasbah, Saïed avait assuré que la première mission de ce gouvernement sera de lutter contre la corruption. Mais par où commencer ? Pour le Chef de l'Etat, devant lequel le gouvernement est responsable conformément aux dispositions exceptionnelles, la lutte contre la corruption passe obligatoirement par « l'assainissement de la Justice ». D'ailleurs, la magistrate Leïla Jaffel a été désignée au département de la Justice sur cette base. Mais la lutte contre la corruption suscite certainement la mise en place de tout un système impliquant notamment les mécanismes légaux et l'implication de toutes les parties concernées. De la petite corruption aux barons de la contrebande et du commerce parallèle, la Cheffe du gouvernement doit durcir le contrôle, notamment au niveau des gouvernorats frontaliers, et cibler certains «cartels». Outre ces dossiers très lourds qui attendent la Cheffe du gouvernement, elle doit également se pencher sur les relations internationales de la Tunisie avec certains pays, mais surtout avec les bailleurs de fonds. Si cette prérogative est propre au Président de la République, Najla Bouden doit assurément contribuer à la restauration de l'image de la Tunisie à l'étranger, notamment après les appels à l'ingérence dans les affaires internes du pays émanant même de personnalités politiques tunisiennes.