On a terminé en beauté à «Carthage», avec les soirées remarquables de Lotfi Bouchnaq et de Ziad Gharsa, bel épilogue en vue aussi, ce soir au festival de Hammamet qui accueille Wajd II, de Sonia M'barek. On le souligne à chacune de ses sorties, Sonia M'barek est une de nos voix les plus sûres, interprète au savoir consommé, chanteuse de grand répertoire qui plus est, ce qui l'inscrit, voilà plus de vingt-cinq ans, dans le droit fil du patrimoine musical tunisien. Que le large public ne le reconnaisse pas tout à fait surprend toujours, mais à ces niveaux, on ne le sait que trop, la majorité n'a pas souvent raison. L'art, en fin de compte, vaut davantage par sa trace que par sa place. Fort heureux ! Tarab et recueillement Comme son intitulé (chiffré) l'indique, Wajd II est la seconde expérience (ne disons pas de chant soufi car le terme prête de plus en plus à confusion), mais bien plutôt de chant spirituel. La première date de 2004, dans le cadre du festival de la Médina. Ce ne fut alors qu'une simple revue de mouachahats (sacrés) de pratique courante. Là, l'artiste va s'attaquer à la création, volet dominant du concert avec des compositions de Fathi Zghonda (mjarred) de Rachid Yeddess et de Sonia M'barek elle-même, sur des textes classiques de Abou Saïd El Andaloussi, Mohamed Iqbal, El Khaouass, Mohieddine Khraïef, ainsi que sur des poésies récentes de Mahmoud B. Sabeur et Khaled Ouighlani. Un second volet sera, cependant, consacré aux œuvres du regretté Laâroussi Ettourki auquel hommage sera rendu à travers les reprises de titres célèbres, dont Ennabi lui mthala que Samir Agrebi eut l'excellente idée d'intégrer au programme d'El Hadhra, version des années 90, dont aussi Anâ Snâani sânaa et Achraqâ, de purs joyaux de la liturgie musicale dus à la créativité rare d'un auteur injustement négligé par ses pairs de son vivant. Ce que sera l'approche dans Wajd II ? Dans les créations comme dans les reprises, Sonia M'barek dit vouloir insister sur l'aspect du tarab. C'est peut-être un risque car il ne sera question que de louanges au Divin et d'apologie du Prophète, et le tarab, ici, peut prendre le pas sur le recueillement. Risque assumé et calculé, cependant (et en toute apparence) par l'artiste interprète qui tient (ce sont ses propos) à «exploiter la simplicité, voulue, des mélodies pour conférer le plus d'attrait possible à la sémantique forcément sobre, forcément exigeante, des invocations». Retour aux sources Pourquoi seulement des louanges à Dieu et une apologie du Prophète ? La réponse de Sonia M'barek est claire : le chant soufi verse de plus en plus dans la célébration exclusive des saints. Les répertoires de la tariqâ, et la tradition musicale et vocale des mausolées suppléent abusivement à ce qui est l'esprit et l'essence mêmes de l'art mystique musulman, à savoir la primauté absolue de la supplique (ibtihel) au créateur et à son ultime messager. Wajd II se propose, en fait, ce soir, de ramener le chant soufi à ses préceptes de base. Le choix de préférer ses termes de «spiritualité» et de «liturgie», ou résolument, celui de chant religieux, est une précaution utile. Le pullulement des hadhras, ces derniers temps, y invitait en tout cas. Ce retour aux sources préconisé par Sonia M'barek est une garantie de contenu. Reste la prestation, nous n'anticipons rien, mais encore une fois, le potentiel vocal existe bel et bien, de même que le travail préparé d'assez longue date : autre assurance. Le plus plausible est que l'on peut s'attendre à vivre un vrai moment de chant.