Subjugant, le Wajd II présenté par Sonia M'barek samedi soir en clôture du festival de Hammamet ! Un modèle de concert sous tous les rapports : tenue, contenu, cohérence thématique, agencement, interprétation vocale, orchestrale, chorale, un moment de chant et de musique, allons jusqu'à le dire, à nul autre pareil cet été. Subjugante, par-dessus tout, Sonia M'barek, admirable de justesse, de prouesses, d'inspiration, de surpassements. Osons à nouveau : culminante à des hauteurs qu'on ne lui a sans doute jamais connues. Pardon pour les superlatifs (ils se galvaudent par les temps qui courent) mais que faire d'autre devant une telle prestation ? Sonder du lexique ? Essayer de communiquer le détail du grand art en se fiant à la seule simplicité des mots ? On le sait d'expérience, cela ne suffit jamais à tout. Il eût fallu être là, écouter, voir, déguster «à même la scène», être soi-même témoin de l'indicible : il n'y a pas mieux dans ces cas d'exception. Hélas (encore), il n'y avait pas grand monde samedi sur les gradins du théâtre de Hammamet. Que de rares initiés et de mélomanes convaincus et presque pas de collègues de Sonia M'barek, dommage, ils eurent, ô combien, pu mesurer «les distances», ce qui distingue un vrai travail de création des nombreux «récitals de circonstance» qui auront essaimé la session festivalière 2010. L'absence du large public pousse, elle, à l'impatience, presque à l'agacement. Elle perdure voilà des années au détriment d'une artiste pourtant irréprochable, en talent pur, en qualité de répertoire, en maîtrise et rigueur vocales, en savoirs artistiques de base. Et pour quelle raison? Parce que, le répète-t-on à l'envi, la chanteuse «manquerait de charisme». Formule «contournée» à vrai dire qui dissimule bien mal des penchants, malheureusement généralisés. Pour la gestuelle facile, le divertissement commode et autres séductions éphémères des spectacles en vogue. Quand la voix réécrit la musique Cette injustice, ayons l'honnêteté de le reconnaître, est plus ou moins relayée par nous-mêmes, critiques et médias. Souvent quand il s'agit de Sonia M'barek, nous préférons remâcher l'opinion courante, suivre la tendance au lieu de nous en remettre aux seuls critères qui comptent : la qualité de la voix, du chant et la valeur intrinsèque du produit proposé. Mais revenons à Wajd II, cela servira peut-être à remettre les avis dans le bon ordre. Deux volets : des créations nouvelles et des reprises de morceaux du meilleur répertoire soufi tunisien. Les créations nouvelles? Textes somptueux de Mohieddine Khraïef, Mahmoud Ben Sabeur, Abou Saïd Ali Andaloussi , Mohamed Iqbal, Ibn El Faredh, Khaled Oueghlani, sur lesquels Fathi Zghonda, Rachid Yedess et Sonia M'barek ont apposé des musiques d'une simplicité savoureuse, en recourant aux principaux rythmes du genre (Daffa, «Dkhoul», Btaïhi, Aissaoui, Wahda orientales, etc.), plein dans les atmosphères et les tempos du chant spirituel : tour à tour et dans les justes alternances, recueillement, exaltation, allégresse intérieure, transes juste suggérées. Des compositions comme quassadtou babek (M. Khraïef-Sonia M'barek-Rachid Yedeess) Anta fil maoudhii el beïd el quarib (A. Al Andaloussi. Sonia M'barek) Wasslat el anouar (Mjarred de Fathi Zghonda, poème de Khaled Oueghlani) ne resteront sûrement pas sans lendemain, les motifs mélodiques y sont d'une récurrence claire, la bonne chanson se mémorise ainsi. Parmi les reprises, le chef-d'œuvre du regretté Laâroussi B. Khemiss Ettourki Ennabi wi m'thala a survolé le concert. Quelle richesse modale ! Surtout quels subtils développements à travers les touboûs tunisiens et les accents du maquam charqui ! Un régal de profondeur et d'harmonie qui aura plané, haut, plus haut encore grâce à la formidable interprétation de Sonia M'barek, toujours en raffinement, en nuances insoupçonnées, en variation d'intensités. Quasiment des réécritures vocales, si peu de chanteurs arabes l'ont réussi et le réussissent encore. Fiers de vous compter parmi notre élite musicienne, Sonia M'barek !