Une décision qui a rendu justice, ou presque, à sa famille, ainsi qu'aux militants du parti Nida Tounès qui avaient, à maintes reprises, crié à une mainmise exercée sur la branche judiciaire dans cette affaire. Neuf ans après, l'affaire refait surface et sa famille peut enfin faire son deuil. La justice a condamné, mardi, à 15 ans de prison ferme quatre prévenus dans l'affaire du meurtre du chef de l'Union régionale des agriculteurs à Tataouine et à l'époque coordinateur du mouvement Nida Tounès, Lotfi Naguedh, décédé en 2012 en marge d'une manifestation qui a mal tourné. Les quatre prévenus ont été reconnus coupables d'homicide volontaire et ont écopé une peine de 15 ans de prison chacun, indique le porte-parole de la cour de cassation de Sousse. Une condamnation supplémentaire d'un an de prison a été également décidée contre tous les prévenus pour avoir participé à une bagarre ayant conduit à un décès, ce qui ramène la peine à seize ans de prison pour les quatre accusés. Une décision qui a rendu justice, ou presque, à sa famille, ainsi qu'aux militants du parti Nida Tounès, qui avaient, à maintes reprises, crié à une mainmise exercée sur la branche judiciaire dans cette affaire. Car il y a cinq ans, le 14 novembre 2016, un non-lieu avait été prononcé en faveur des mêmes quatre personnes accusées dans cette affaire. Le ministère public avait alors décidé de faire appel de ce verdict prononcé par le Tribunal de Sousse. Si deux personnes avaient été accusées d'homicide volontaire, et les deux autres de complicité, elles avaient été toutes blanchies par la justice dans une première étape, chose qui a suscité une grande polémique auprès de l'opinion publique. Ce jour-là, certains avaient même considéré cette décision de justice comme un deuxième assassinat du militant politique. On soupçonnait, en effet, une implication politique dans cette affaire, d'autant plus que le comité de défense de Lotfi Naguedh avait accusé directement le parti Ennahdha de vouloir offrir une couverture politique aux assassins. Le soulagement Cependant, en dépit de cette condamnation qui pourrait soulager sa famille, les circonstances de la mort de Lotfi Nagdh, le coordinateur régional de Nida Tounès à Tataouine, demeurent jusque-là inconnues. Pris à partie par une foule hostile au cours d'une manifestation organisée par des membres des ligues de protection de la révolution (LPR), aujourd'hui dissoutes, et par des militants d'Ennahdha et du Congrès pour la République (CPR), le parti de l'ex-président Moncef Marzouki, son décès pourrait-il être considéré comme un premier assassinat politique en Tunisie ? La justice n'a pas tranché. Mais il faut rappeler que selon une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, la victime avait été littéralement tabassée par des personnes hystériques, visiblement dans l'objectif de le tuer ou, du moins, de lui causer de graves blessures. Sauf que suite à une instrumentalisation politique et médiatique, certains opposants au parti Nida Tounès, dont notamment Ennahdha et ses alliés, ont privilégié la piste d'une mort à cause d'une crise cardiaque, une position qui a davantage enflammé la polémique et la tension, malgré le rapport d'autopsie présenté. L'autre version des faits, celle du meurtre impuni et d'une couverture politique aux meurtriers, est partagée notamment par la famille du défunt et par les partisans de Nida Tounès, un parti actuellement en voie de disparition. En 2016, le verdict ayant permis de blanchir les accusés a ravivé le sentiment d'abandon et de trahison auprès des militants du parti fondé par feu Béji Caïd Essebsi. Aujourd'hui, sa veuve, Houda Naguedh, estime que cette condamnation est une sorte d'hommage rendu à sa famille. Pour elle, cette décision de justice met fin à «un feuilleton de manipulations et de mensonges dont a souffert la famille». Même son de cloche chez le membre du comité de défense de Naguedh, l'avocat Abdessatar Messaoudi, pour lui, cette condamnation est un soulagement. «Cette condamnation a rendu justice à sa famille, ainsi qu'aux défenseurs des droits et des libertés» a-t-il expliqué. Evoquant la première décision ayant blanchi les accusés, il a estimé qu'il s'agissait plutôt d'une décision politique et non pas judiciaire, car selon ses dires, «la justice était entre les mains d'Ennahdha et des ligues de protection de la révolution». Une justice en quête d'indépendance Cette affaire rouvre le débat autour de la politisation de la justice tunisienne. Une question qui semble être à la tête des priorités du Président de la République, Kaïs Saïed. Ce dernier ne rate aucune apparition médiatique pour appeler à réformer la justice, faisant allusion à certains partis politiques qui instrumentalisent toujours les tribunaux et les juges. Dernièrement, il avait même décidé de prendre les choses en main en publiant des dossiers de corruption, preuves à l'appui. En effet, cela fait plusieurs années qu'on évoque une justice tunisienne sous l'emprise de la main politique sans que des décisions et des mesures ne soient prises pour mettre fin à ces accusations. Le bureau exécutif de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) estimait dans ce sens que « le processus de réforme du secteur de la justice est un projet de longue haleine. Il ne peut être réalisé en supprimant les acquis constitutionnels garantissant l'indépendance de la justice, mais en palliant les lacunes ». Selon l'AMT, cela doit se faire dans le cadre des institutions, notamment à travers les institutions disciplinaires et de contrôle conformément à la loi et dans le respect de la transparence, en tenant l'opinion publique régulièrement informée des résultats de leurs travaux.