La riposte tunisienne a été foudroyante. Armée, forces de sécurité et population ont vaillamment déjoué le démentiel plan terroriste. Des pages de gloire ont été écrites à Ben Guerdane. La Tunisie ne peut compter que sur ses propres forces. Le jeu des grandes puissances est trop trouble pour augurer de quelque implication décisive Une guerre d'embuscade. Assurément. Daech et la nébuleuse terroriste n'ont de cesse d'ourdir complots et coups de main. Nous sommes en guerre contre le terrorisme depuis des années. Mais les attaques de Ben Guerdane initient un nouveau palier dans le modus operandi des terroristes. Ils veulent accaparer une partie du territoire national. Désormais, c'est la guerre ouverte avec les structures dormantes des terroristes dans diverses régions et villes du pays. Récapitulons. Le terrorisme s'est amplifié sous nos cieux depuis la révolution de janvier 2011. Il a compté sur l'affaiblissement des structures étatiques, gouvernementales et sécuritaires. Il a bénéficié aussi, du temps de la Troïka (2011-2014), de la connivence et du laxisme d'une partie de la classe politique et des responsables d'instances pseudo-associatives. Le démantèlement des structures du renseignement et de la DST a été décisif. Les terroristes de tout poil ont investi le pays en toute impunité. Avec armes et bagages. L'économie de la contrebande, qui concourt désormais à 54 pour cent du PIB, a constitué le terreau privilégié du trafic d'armes de guerre. Les recrutements douteux et partisans au sein du ministère de l'Intérieur ont permis la couverture de ces pratiques criminelles. Même la formation des nouvelles recrues a été partisane et sur la base d'approches fanatiques. La police parallèle, inféodée à la Troïka, a gangréné diverses instances sécuritaires. La piovra est partout. Police, garde nationale, armée, gardiens de prison, garde présidentielle et protection civile ont été infiltrés. Si bien qu'il a fallu opérer il y a peu un assainissement. Quelque deux cents agents infiltrés ont été écartés. Certains d'entre eux ont fait allégeance à Daech. D'autres croupissent déjà en prison (cf. La Presse du 11 septembre 2015 «Impliqués avec des terroristes, 150 policiers et militaires infiltrés»). Le terrorisme s'est manifesté chez nous en différentes phases. Il y a eu d'abord le maquis montagnard, puis le maquis des plaines, l'infiltration des villes, les assassinats ciblés via l'escadron de la mort, la mise en place de cellules dormantes, la multiplication des caches d'armes et, depuis l'offensive de Ben Guerdane, la tentative d'accaparer une partie du territoire national à la manière de Riqqa en Syrie. Ce faisant, les terroristes opérant sous nos cieux profitent du sanctuaire stratégique libyen. Là où, moyennant l'anarchie armée, sévissent des dizaines de milliers de terroristes islamistes. Des groupes y opèrent en toute liberté, dressent des camps d'entraînement, recrutent à tour de bras, en vue d'attaquer la Tunisie. On a d'ailleurs préféré opérer comme à Derâa et Riqqa en Syrie. Attaquer en premier via une ville frontalière adossée à un pays-sanctuaire tout en bénéficiant de nombreux réseaux de recrutement, d'approvisionnement et de soutien logistique. Pour Daech et toute la nébuleuse terroriste, cela devait préparer l'occupation progressive du pays. La riposte tunisienne a été foudroyante. Armée, forces de sécurité et population ont vaillamment déjoué le démentiel plan terroriste. Des pages de gloire ont été écrites à Ben Guerdane. Ce que ni l'Otan ni d'autres forces n'ont pu accomplir dans plusieurs pays a été réalisé par les Tunisiens en quelques heures. Et haut la main. Pas moins de cinquante terroristes ont été abattus. Une dizaine ont été attrapés. De l'inédit en matière de revers subis par Daech. Les forces de sécurité se sont très vite retrouvées parmi la population de Ben Guerdane et ses environs comme un poisson dans l'eau. La déroute des commandos terroristes, qui avaient pourtant l'atout de la prise au dépourvu et de l'initiative, a été cinglante. Désormais, pour maints observateurs avertis, la muraille contre Daech et ses alliés de tout poil se dresse aux abords du Sud de Tunisie. Au Sud mais aussi ailleurs dans le pays. Une muraille du nouveau monde libre démocratique aussi (cf. La Presse du 8 mars «La bataille du monde libre»). Dans son éditorial il y a deux jours, le journal Le Monde qualifie la Tunisie d'«unique rescapée du printemps arabe». Sous le titre «Tunisie : l'aveuglement des Européens», Le Monde pointe un doigt accusateur du côté de l'Europe : «Il y a bien des fonds structurels de l'Union européenne, accordés de façon quasi mécanique à ses membres d'Europe de l'Est, qui seraient mieux employés en Tunisie – dans l'intérêt de toute l'UE... Où est la mobilisation exceptionnelle, publique et privée, en faveur des 11 millions de Tunisiens ? A quand un Conseil européen consacré à la Tunisie, suivi d'une conférence des investisseurs européens ? Faudra-t-il attendre d'autres Ben Guerdane ? L'aveuglement des Européens face à ce qui se joue en Tunisie est pathétique, désespérant». Cependant, il ne faut guère se leurrer outre mesure. La Tunisie ne peut compter que sur ses propres forces. Le jeu des grandes puissances est trop trouble pour augurer de quelque implication décisive. La bataille, ici et maintenant, devra se concentrer sur le démantèlement des structures dormantes des terroristes. Et de leurs complices et bailleurs de fonds, à tous égards. Ce qui a déjà commencé dans le sillage de la riposte à Ben Guerdane. Il faut créer, partout en Tunisie, un dix, cent, mille Ben Guerdane.