Par Dr Olfa DAOUD L'objectif de ce propos serait de s'interroger sur l'utilité des stratégies télévisuelles après la révolution. L'intérêt se base sur la pertinence de l'exploitation des procédés de l'énonciation télévisuelle par certains acteurs médiatiques. Cet article se divise en deux temps. Dans un premier temps, nous abordons l'intérêt de la liberté d'expression comme un perpétuel enjeu médiatique pour ce qui est de son impact sur la conception d'un esprit critique approprié. Dans un second temps, nous scrutons l'esprit stratégique des potentielles mises en scène télévisées et nous y vérifions un état des lieux au sein duquel certains acteurs médiatiques ont su se positionner plus que d'autres dans le paysage médiatique, réussissant ainsi à entretenir une relation efficace avec le grand public et méritant de la sorte leur surnom de « quatrième pouvoir ». Onze ans auparavant, les médias tunisiens étaient accaparés par le régime de Ben Ali, ils se teintaient de sa couleur relatant ses prouesses à longueur de journée. C'était un pitoyable paysage médiatique asservi par le pouvoir politique où toutes les voix libres étaient châtiées. Et du jour au lendemain, ces mêmes médias, longtemps dominés, se trouvent subitement libérés de leurs boulets de forçat, entament une nouvelle mission critique afin de se valoir en tant que quatrième pouvoir. En figurant un nouveau visage médiatique, la révolution tunisienne sapait toute censure, elle emportait d'un seul coup les médias tunisiens vers une nouvelle disposition. Le contexte était bien propice à l'émergence démesurée de stations de radio, de stations télévisées, de journaux et de sites électroniques. Ceux-ci, n'ayant pas d'expériences antérieures, ont dû, d'abord, patauger dans tous les sens, pour aboutir ensuite à se forger une certaine identité médiatique. Notre propos cherche à déchiffrer les potentielles stratégies surgies après une visible mutation médiatique, vérifiant pendant ces dix dernières années d'éventuelles évolutions dans ces stratégies. Ce propos cherche aussi à mesurer la persistance ou la disparition d'un certain « amateurisme » télévisuel se trouvant encore inhérent au paysage médiatique. Nous essayerons de voir de plus près si de potentiels problèmes structurels sont à la base d'un pareil handicap, ou bien s'agit-il plutôt d'une défaillance stratégique se situant à la base comme un manque de persévérance et de créativité dégradant le rendement de certaines émissions médiatiques à vocation critique. Il s'agit ici de décrypter les stratégies télévisuelles de quelques talk-shows référés à certaines chaînes télévisées, nous permettant ainsi une matière d'évaluation ciblant un paysage médiatique pourvu d'une ample liberté d'expression, là où la totalité des chaînes télévisées arabes s'en trouvent encore complètement démunies. La liberté d'expression, un perpétuel enjeu médiatique Toutefois, faut-il rappeler que cette liberté reste toujours relative puisque ces institutions médiatiques télévisées sont bien loin d'œuvrer sur un terrain complètement défraîchi, sachant que l'image est de considérable impact, tenter d'en récupérer un contenu satisfaisant ne semble pas une mince affaire pour les journalistes tunisiens. Tenter de saisir une image médiatique équivaut nécessairement à prétexter le fameux précepte journalistique qui ne s'intéresse pas au train qui arrive à l'heure exacte. Les institutions médiatiques télévisées sont souvent dans la concurrente recherche de communiquer des images tant exubérantes qu'authentiques de la société tunisienne, et c'est ce qui ne semble pas plaire à tout le monde. La liberté d'expression transmise dans les images médiatiques, en phase de transition démocratique, doit émaner de la réalité sociale même, ce qui fait que cette liberté est à l'épreuve d'un risque touchant l'intégrité des reporteurs et des journalistes. Ceux-ci sont dans une continuelle situation inconfortable, car ils se trouvent continuellement éprouvés par des agressions et des persécutions multiples que ce soit par les forces de maintien de l'ordre ou bien par des compatriotes fanatiques, notamment lors des manifestations sociales, les reporteurs médiatiques ne peuvent davantage parvenir à transmettre une image crédible d'une réalité sociale continuellement mouvante, notamment quand ils doivent faire face au fanatisme religieux, des exemples similaires sont en perpétuelle répercussion, et nous pouvons citer à titre d'exemple les 9 et 11 octobre 2011, dates de référence aux émeutes s'attaquant à la chaîne Nessma et ses journalistes après la diffusion du film Persepolis. Si la diminution de la liberté d'expression n'est plus référée au pouvoir politique, elle semble entraînée non seulement par tout genre de fanatisme, mais encore par des acteurs économiques; qu'ils soient propriétaires ou mécènes des médias télévisuels. Ceux–ci semblent bien tenir à préserver dans un opportunisme équivoque leurs intérêts commerciaux. Ainsi, ils imposent leur point de vue et dirigent les rédactions à leur bon gré. Des journalistes travaillant dans des conditions précaires et fragiles ne peuvent que concrétiser une pareille revendication de l'autocensure. Pourtant, le schéma le plus conventionnel de liberté d'expression est souvent procédé dans les plateaux télévisés où l'image médiatique semble plus maîtrisable pour ce qui est de ses mécanismes de réalisation : choix des invités, conducteur du journaliste et questions inhérentes, découpage et montage, etc. Les émissions de plateau communiquent souvent une identité bien conforme à toute chaîne télévisée. Un compte à rebours de cinq ans passés permettra de rendre compte qu'il ne s'agit guère de sérieuses stratégies de la conception iconique nécessairement supportrice de la narration télévisuelle. Trois exemples remontant à cette période de 2016/2017 semblent assez typiques pour faire l'unanimité d'un paysage médiatique télévisuel spécifique de la Tunisie pendant les cinq dernières années précédentes. Un regard critique, lancé en brève rétrospective sur El Watania 1, Nesma et Elhiwar Ettounsi, permettra d'emblée un déchiffrage sommaire de leurs stratégies médiatiques pendant cette période. Comme la majorité des médias tunisiens privés, Nessma parvenait à un certain moment de renvoyer un point de vue politique salutaire des grandes tendances politiques; notamment dans ses débats. C'est ainsi qu'elle a dévoilé une stratégie mesurée à un intérêt politique mis à jour. Et pour cela, elle ne semblait pas manquer l'entretien sérieux des efforts de son instance de production et de réalisation. Elhiwar Ettounsi, pour sa part, a essayé à travers son dispositif d'images d'affermir une remise en question critique, qui essayait par un contenu social révisé dans une continuelle mise à jour d'accéder à une plus grande cadence de liberté. Au sein de cette chaîne, l'effort harmonieux entre l'instance de production et de réalisation reste bien salutaire. Elhiwar Ettounsi savait bien formuler sa propre stratégie pour réussir enfin à se détacher du lot. Pour sa part, la Télévision nationale 1 semble manquer d'une vraie stratégie réformiste censée être procédée par l'instance de production et de réalisation ; mêmes profils et mêmes procédés entrepris avant la révolution, bien que des sujets abordés témoignent bien d'un certain effort libérateur des anciennes entraves politiques. Admettons d'abord dans les termes de : Guy Lochard et Jean- Claude Soulages qu'un « programme de télévision est la concrétisation d'un projet communicationnel mis en œuvre par une instance de production se construisant sous forme d'un sujet d'énonciation télévisuelle à l'intention d'une cible prédéfinie (le destinataire imaginé) qu'il importe de distinguer de l'instance de réception, autrement dit, le public effectif ». Ce projet communicationnel, s'il prend forme, c'est pour être assez performant pour se traduire en images télévisées assez cohérentes et cohésives pour transmettre un certain sens du contenu médiatique. Et cela ne peut s'effectuer sans un dispositif télévisuel propre à toute émission. Nous pouvons d'ailleurs trouver dans les termes de Pierre Schaeffer une drôle de définition de ce dispositif qui « peut être comparé au piège tendu par l'animal humain pour sa capture en vue d'observation ». La notion de dispositif télévisuel n'est pourtant pas écartée de la perspective psychanalytique de celle du dispositif cinématographique qui se définit dès les années soixante-dix par Jean-Louis Baudry, comme une « machine de domination symbolique ». Ces précédents propos retracent un schéma archétypique de la stratégie générale de toute émission télévisée de genre débat politique : le dispositif régisseur de telles émissions se voit d'abord opérationnel dans un climat de liberté qui semble convier le spectateur à y participer, pour ensuite l'introniser, à travers ce même dispositif, dans une domination symbolique capable de reconstruire ses jugements. C'est ainsi que se formulent les stratégies typiques des médias se vouant de leur « quatrième pouvoir ». Alors comment situer nos médias télévisuels tunisiens de cette nouvelle ère de liberté, par rapport à ce schéma précédemment invoqué ? Après les mesures exceptionnelles du 25 juillet, on est à l'égard d'un nouveau paysage télévisuel où les plateaux des débats politiques sont moins conçus dans l'effervescence d'une bilatéralité idéologique initialement excédée par les détracteurs de l'islam politique et ses partisans, là où l'espace télévisuel équivalait à un espace public encore sidéré par l'impact de la parole affranchie. On assistait avant les dernières mesures exceptionnelles à un paysage audiovisuel tunisien révélé par un plus grand nombre d'émissions télévisées à vocation critique pendant cette période, figurée de la nécessité d'une logique d'affrontement prônant une plus grande liberté discursive. La fermeture de Nessma et la régression stratégique d'Elhiwar Ettounsi dans la présentation de ses talk-shows critiques semblent bien restreindre l'espace communicationnel, même si de semblables programmes, à l'égard de 50/50 diffusé sur Carthage+ et Rendez-vous 9 sur Ettessia, se trouvent opérationnels dans leurs portées critiques. Cette sensible diminution de la matière médiatique semble bien disqualifier le paysage démocratique tunisien. La notion d'une démocratie naissante ne pouvait se concevoir à l'écart d'un « imaginaire contemporain » faisant partie prenante d'une démocratie concrétisée sur l'écran du chez « soi » où la simple posture spectatorielle suffisait pour engendrer cette connexion participative. Ces chaînes concouraient ainsi à un maximum d'audience rien que par le fait de proposer de nouveaux invités à chaque nouveau débat. L'émergence de nouvelles chaînes télévisées enlace la concurrence et engendre dans cette nécessité de nouvelles stratégies audiovisuelles adaptées pour chaque institution. Les télévisions tunisiennes se rendaient compte de l'importance de la mise en scène du studio, et surtout du rôle de celle-ci à assigner l'identité de la chaîne télévisée. La façon d'organiser et de structurer les plateaux de télévision, si elle n'est pas bien pensée, sera sans doute une cause de la défaillance de la mise en scène qui est, à l'origine, une mise en place physique accommodée à une mise en image des personnes. Le studio, essentiellement un lieu de la parole, est aussi celui qui va adjuver celle-ci du potentiel expressif de l'image afin de distendre son pouvoir médiatique. C'est au sein du studio que les corps sont mis en scène : par un dispositif scénographique élaboré par la régie (l'ensemble de l'équipe des régisseurs). Ce dispositif va installer des opérations filmiques : (cadrage, jeu sur le champ/contre champ, ocularisations ; c'est-à-dire l'œil de la caméra qui est censé être apparenté avec celui du spectateur), et c'est au sein du studio que l'arrangement du mobilier, l'emplacement du public (s'il existe) ainsi que la disposition de la scène du débat et de la salle du studio sont tant d'éléments sémiotiques signifiants qui déterminent l'espace physique de l'émission télé. (A suivre)