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Rencontre avec Hosni Zaouali, un tunisien des autres rives : «Le métavers et l'intelligence artificielle ont le pouvoir de changer la destinée de notre pays»
Il appartient à ces Tunisiens des rives lointaines. Ceux qui, sous d'autres cieux, dans d'autres continents, tracent un chemin valeureux, et dont on ne parle pas. Ils reviennent pourtant, régulièrement, dans leurs villes ou villages, retrouver familles et amis, sans jamais apparaître dans la vie publique. Ce qui ne les empêche pas de porter haut et fort l'image de leur tunisianité. Aussi, quand on les rencontre à l'occasion d'un colloque international, d'une conférence mondiale ou de tout autre événement où on leur offre une place de choix, on n'hésite pas à leur demander de raconter leur parcours. Ne fût-ce que parce que ces carrières, souvent difficiles, peuvent servir d'exemple ou d'encouragement à d'autres jeunes. Hosni Zaouali est de ces jeunes, partis un jour vers un autre destin. Son chemin ne fut pas toujours aisé, ses succès enlevés de haute lutte. Vous êtes né en Tunisie, vivez au Canada, enseignez aux USA. Pouvez-vous nous évoquer votre parcours d'une petite ville du Sahel, Moknine, à Toronto ? Mon attachement à la Tunisie et à l'Afrique est presque viscéral. Mes parents ayant tout quitté pour faire de petits boulots en France, ça n'a pas été facile pour 5 frères et sœurs vivant dans un quartier type ghetto. Ça n'a pas dû être facile pour mes parents non plus, vu que pendant des années mon père s'est cassé le dos sur les chantiers de construction et ma mère essaie tant bien que mal d'élever 5 enfants dans un environnement hostile et violent. Ayant vécu entre la Tunisie et la France, nous avons tous souffert d'une crise identitaire qui nous suit jusqu'à aujourd'hui. La France est pour moi comme une mère abusive. Je l'aime, mais elle me frappait dessus trop souvent sans aucune raison. A l'adolescence, les violences de rues tournent mal et j'expédie un autre adolescent du quartier à l'hôpital. Déféré devant la justice, pendant plus d'un an j'ai dû me rendre au poste de police et au tribunal avec ma mère qui ne comprenait pas le français. Cet épisode m'a vraiment affecté, voilà pourquoi il représente un tournant décisif. Après plus d'un an de procès, la juge chargée de l'enquête me donne le choix à faire sur le champ : la prison juvénile ou un programme de sport-étude au lycée du centre-ville. Comprenant qu'il s'agissait d'un moment décisif de ma vie, le choix était vite fait. Envoyé en école sport-étude (ndlr : natation et athlétisme), je ne passais presque plus de temps dans mon quartier d'origine. Mes fréquentations changent. Avec 8 entraînements par semaine et les compétitions le week-end, j'ai appris à me redécouvrir et à canaliser ma rage dans le sport et les études. Je finis par obtenir un baccalauréat scientifique (série S) à l'âge de 17 ans. A la fin de l'année du bac, ma mère tombe gravement malade. Je décide donc de rester à Chalon-sur-Saône pour me rapprocher de ma famille et je m'inscris en IUT de Génie industriel et nucléaire. Deux ans plus tard, la santé de ma mère s'améliorant et mon DUT en poche, je décroche le concours de Sup-de-Co à Toulon. Les 2 premiers élèves de la promotion avaient accès à une bourse d'étude supérieure pour suivre un 3e cycle en Amérique du Nord. Je redouble d'effort pour obtenir le sésame et atterris en 2008 au Canada et en Californie que je ne quitterais plus… Parce qu'il vous était difficile de trouver un premier emploi sans expérience, vous avez commencé par recruter les immigrants pour les former. Ce qui était au départ un tutorat s'est transformé en campus virtuel. Expliquez-nous le principe de cette véritable révolution du concept de l'éducation. En effet, j'ai ouvert mon entreprise à Toronto, car il m'était impossible de trouver un travail. Avec 300$ en poche, il me fallait bien manger. J'ai donc commencé à donner des cours de français et de maths à qui en avait besoin. Rapidement, les parents de mes élèves se réjouissent des résultats de leurs enfants et ma réputation a grandi rapidement. J'ai donc dû embaucher d'autres immigrants comme moi pour faire face à une demande croissante. Pour moi, c'était comme «d'une pierre, deux coups». D'un côté, j'augmenterais le revenu de l'entreprise, d'un autre je donnais sa chance à plus de 800 immigrés (en 11 ans) à décrocher une première expérience canadienne. Témoignant d'une demande croissante et voyant la pénétration qu'allait avoir internet, je me suis dit qu'il fallait absolument créer une solution en ligne originale. Pour cela, il m'a fallu creuser au plus profond du côté émotionnel de l'étudiant en ligne, comprendre ce par quoi les enseignants passaient. Toute cette empathie a donné naissance à une nouvelle méthode aujourd'hui reconnue par tous : la Métavers éducative. Vous avez créé une première start-up avec 5 personnes, qui a évolué en une seconde start-up qui en emploie aujourd'hui plus de 50. Outre les universités, vous vous adressez aux entreprises. Que leur proposez-vous? Notre Métavers est une des meilleures aujourd'hui créées. Elle permet aux utilisateurs d'avoir un avatar, de marcher dans des mondes virtuels, de parler à qui ils veulent, d'acheter, d'étudier, de travailler ensemble, comme dans la vraie vie... et tout cela sans lunettes, juste avec un téléphone intelligent ou un ordinateur. En utilisant notre métavers, les grands groupes peuvent vendre, marqueter, explorer et gagner un avantage compétitif sur leurs concurrents. Les universités, elles, peuvent multiplier le nombre d'étudiants par 5 ou 10 et augmenter leurs revenus et leur notoriété vu que les étudiants viennent de partout. Les métaverses vont complètement bouleverser le monde et l'internet. Nous allons passer d'un internet en 2D, au web 3D en 2 ans. Cette nouvelle économie représente aujourd'hui 8 milliards de dollars et va représenter 30 trillions de dollars d'ici à 2031. Il est indispensable que la Tunisie s'y intéresse et ne rate pas cette opportunité qui va durer 4 ans. Nos trois pays (la Tunisie, l'Algérie et le Maroc) sont passés à travers beaucoup de changements ces dernières années. Il y a une autre révolution, bien plus importante qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Une révolution technologique qui a le pouvoir de placer la Tunisie, l'Algérie, et le Maroc comme acteurs incontournables du futur ou… de nous ramener au Moyen-Age. C'est à nous, Marocains, Algériens, Tunisiens, mais aussi Français, d'amener le Maghreb à prendre le train en marche. Je sais de quoi je parle, moi le vagabond de la Silicon Valley. Je gère aujourd'hui une compagnie qui crée la Métavers-Tech-Adaptika. Je suis aussi consultant pour Stanford University et différentes organisations sur l'impact des nouvelles technologies sur le monde du travail et le monde de l'éducation. La Métavers et l'Intelligence artificielle ont le pouvoir de changer la destinée de nos trois pays. Cependant, nous n'avons pas beaucoup de temps. Cinq ans au maximum pour s'y mettre ou sinon on rate cette opportunité historique. Pour cela, il faut que nos décideurs publics se réveillent. Vous savez à quel point c'est frustrant pour moi d'entendre des décideurs publics dire : «Je n'aime pas le terme intelligence artificielle, je préfère l'intelligence humaine». Ce serait un peu comme dire : je n'aime pas voyager en avion, je préfère ma marche à pied. J'ai peur que ce genre de message, ce genre de manque d'ouverture nous laisse en marge du développement économique des 20 prochaines années. Aujourd'hui, il est plus qu'urgent de vous débrouiller comme vous voulez pour installer la 5G et capitaliser sur les Metaverses et l'intelligence artificielle. Faites appel aux Français, aux Chinois, aux Américains, ou même aux Israéliens qui sont un exemple à suivre en termes de développement économique basé sur la technologie. Si vous ne le faites pas, la Tunisie, l'Algérie et le Maroc deviendront des colonies digitales des USA et de la Chine. Tout n'est pas rose dans le monde du virtuel et vous lancez l'alerte sur la Métavers. Bien sûr, il va y avoir des dérives. On voit déjà ce que les médias sociaux comme Instagram font à notre jeunesse. Ce sera pire avec les Métaverses. C'est justement pourquoi il est important de s'y intéresser maintenant et de réguler les fournisseurs de Métavers avant qu'ils nous régulent. Quels en sont les risques selon vous ? Je préfère ne pas parler des risques, car cela va donner des idées néfastes à certains programmeurs mal intentionnés. Revenons au Tunisien que vous êtes. Avez-vous des projets dans votre pays ? J'adorerais avoir des projets dans mon pays, mais aujourd'hui je travaille dans la Silicon Valley et à Toronto. Notre entreprise est valorisée à plusieurs dizaines de millions de dollars et on me paye pour parler aux quatre coins du monde sur les opportunités qu'apportent l'IA et les Métaverses. Cependant, je n'ai jamais reçu d'invitation de ma Tunisie bien-aimée. J'espère que cela va bien sûr changer, car la Tunisie a besoin de sa diaspora, et pas que pour passer des vacances et dépenser son argent. Cette diaspora tunisienne a voyagé dans le monde entier, elle est bilingue, multiculturelle. Elle peut ouvrir des marchés totalement inaccessibles pour la Tunisie et mettre notre pays sur les rails du progrès, de la prospérité et de la science.