La donne risque de changer au sein du Parlement puisqu'on fait tout pour empêcher Ennahdha de prendre le pouvoir, même s'il s'en défend. Afek Tounès conduit la fronde et soutient toujours Habib Essid, tout en posant ses conditions Quand Béji Caïd Essebsi a réussi à remporter l'élection présidentielle et quand Nida Tounès a gagné les élections législatives de fin 2014, tout le monde a dénoncé la propension éventuelle du parti des Berges du Lac à dominer outrageusement la scène politique nationale, surtout qu'une majorité écrasante lui était offerte sur un plateau d'argent, à condition qu'il parvienne à mettre sous sa coupe Afek Tounès, l'Union patriotique libre, sans oublier les députés d'Al Moubadara. Et l'on se rappelle encore la grande hantise d'«Attaghaouel» (domination totale de la scène politique) qu'on prêtait à Nida Tounès et à Béji Caïd Essebsi. Sauf que le président de la République a surpris tout le monde en décidant de s'allier à Ennahdha, le parti qui a occupé le deuxième rang lors des législatives (69 sièges contre 86 pour Nida Tounès) et en confiant la responsabilité de former le gouvernement issu du rendez-vous du 26 octobre 2014 à une personnalité indépendante, Habib Essid, qui était obligé de dénicher ses ministres parmi les quatre partis politiques formant sa coalition gouvernementale : Nida Tounès, Ennahdha, Afek Tounès et l'Union patriotique libre. «Attaghaouel» a été étouffé dans l'œuf et l'on s'est retrouvé avec un gouvernement gérant le pays au nom des quatre partis gagnants des élections législatives mais agissant, en réalité, en tant que gouvernement indépendant dont certains membres étaient critiqués même par les partis auxquels ils appartiennent. Avec l'implosion de Nida Tounès en deux blocs parlementaires au palais du Bardo (en attendant la création officielle du parti Projet de Tunisie représenté au Parlement par les 28 députés nidaïstes dissidents constituant le bloc Al Horra), la donne a changé radicalement bien que les responsables nahdhaouis avancent toujours qu'ils respecteront les résultats issus des élections législatives de fin octobre 2014 et qu'ils ne se comporteront jamais comme les véritables titulaires de la majorité au sein du Parlement comme y étant la première force politique bénéficiant du plus grand nombre de députés (69 contre 54 pour Nida Tounès et 28 pour Al Horra). Les nahdhaouis ont beau répéter à qui veut les entendre qu'ils ne feront pas valoir les avantages inhérents à leur nouveau statut au sein du Parlement, personne ne croit en leurs promesses et les événements montrent que les nahdhaouis sont en train de prendre le pouvoir lentement mais sûrement, en attendant les résultats auxquels débouchera leur prochain congrès prévu fin mai prochain. La dernière manifestation de leur tentative de récupérer le pouvoir au sein du Parlement apparaît à travers leur obstination à présider la commission parlementaire d'enquête sur l'affaire «Panama Papers» et à y être représentés par le plus grand nombre de députés possible. Idem pour leur silence inquiétant face à ceux qui appellent à la démission de Mohamed Ennaceur de la présidence du Parlement «pour incapacité physique et échec dans la gestion des affaires de l'Assemblée des représentants du peuple». Et même si personne n'est en mesure de prouver qu'Ennahdha est l'instigateur des déclarations de Ghazi Chaouachi et Samia Abbou (députés du Courant démocratique), les dividendes d'une telle initiative (au cas elle aboutirait) ne peuvent que profiter à Ennahdha dans la mesure où c'est Abdelfatteh Mourou, premier vice-président de l'ARP qui s'installera à la présidence au palais du Bardo. Et ce n'est pas tout puisque selon l'article 84 de la Constitution, c'est le président du Parlement qui est habilité à remplacer le président de la République au cas où il se trouverait dans l'impossibilité permanente ou temporaire d'exercer sa fonction. Afek Tounès se rebiffe Si les nidaistes concentrent toujours leurs efforts sur la possibilité de faire revenir dans leurs rangs les mécontents, de tuer dans l'œuf les frictions opposant périodiquement Ridha Belhaj à Hafedh Caïd Essebsi, Slim Riahi règle ses comptes avec les députés «qui ont trahi le parti et ses idéaux» et Mohsen Marzouk et ses lieutenants s'occupent presque exclusivement de l'affaire «Panama Papers», Afek Tounès n'est pas resté les bras croisés et tire la sonnette d'alarme par le biais de son président, Yacine Brahim, ministre du Développement économique et de la Coopération internationale. Son cheval de bataille : la révision du rendement du gouvernement Habib Essid et aussi celui de la coalition gouvernementale. Lors de leur dernier conseil national, les responsables d'Afek Tounès n'ont pas eu le courage de mettre les points sur les i. Ils ont, plutôt, choisi de critiquer «l'absence d'accélération de l'exécution des programmes convenus au sein du gouvernement, l'absence aussi de débat au sein de la coalition des grands projets de loi qu'on découvre comme tout le monde quand ils sont soumis au Parlement». «Loin de nous l'idée de demander l'éviction de tel ou tel ministre, nous appelons au contraire à davantage de coordination et de cohésion entre les membres de la coalition au gouvernement», souligne Faouzi Abderrahmane, secrétaire général d'Afek Tounès. Hier, jeudi 14 avril, les membres de la coordination des partis soutenant le gouvernement devaient tenir une réunion qu'on présente comme cruciale. Au programme de ce rendez-vous, le dévoilement de tous les blocages, la présentation de toutes les hypothèses possibles, y compris le remplacement des ministres qui peinent à suivre le rythme imposé par leurs collègues ou qui cherchent à réaliser des agendas personnels. Sauf qu'avant même que la réunion en question ne se tienne, des voix se sont élevées pour la formation d'un «front parlementaire» dont l'objectif est de restaurer l'équilibre au sein du palais du Bardo. C'est Rym Mahjoub, présidente du bloc d'Afek Tounès, qui a annoncé la création de ce front composé pour le moment «des députés d'Afek, de Nida Tounès, d'Al Horra, de l'UPL, d'Al Moubadara et de quelques députés indépendants». S'agit-il d'une forme de pression sur Ennahdha ou d'un rappel à l'ordre qui est lancé aux nahdhaouis pour leur signifier que même si la voie leur est largement ouverte, il est possible de former une majorité soutenant le gouvernement en dehors des députés nahdhaouis.