Par Samira DAMI Aujourd'hui s'achève la manifestation «Doc à Tunis» (20-24 avril) qui se déroule sous le signe de «La voix du regard». Côté cinéma, cette édition a été marquée par deux moments forts. Le film d'ouverture «Fuocoammare» (Feu dans la mer) du réalisateur italien Gianfranco Rosi qui a raflé l'Ours d'or de la 66e Berlinale. Ce long métrage documentaire s'avère dans l'air du temps puisqu'il traite du drame des migrants qui arrivent par milliers sur la petite île italienne de Lampedusa, et dont beaucoup perdent la vie avant la fin du voyage. Tandis que ceux qui arrivent à bon port survivent dans la misère. «Ces voyages de la mort» en pleine mer sont racontés, du point de vue d'un témoin, le Dr Pietro Bartolo. Un témoignage tragique où le docteur narre ses souvenirs et ses cauchemars : il a vu, depuis le début des années 90, des centaines de cadavres d'enfants, de femmes et d'hommes et des centaines de blessés brûlés lors du voyage. Son récit expressif et éloquent reflète la violence, le traumatisme et la tragédie vécus par ces migrants qui ont traversé la Méditerranée sur des bateaux de fortune. Ce témoin raconte et dénonce d'un ton désespéré et impuissant ces drames recommencés à l'infini dans l'indifférence des puissants de ce monde qui, en bouleversant l'équilibre écologique, économique, culturel et social des pays du tiers monde portent une grande responsabilité dans cette tragédie humanitaire. Sans voix off, ni commentaire «Fuocoammare» relève du cinéma engagé alliant la force du thème traité et la qualité de la forme. «Eau argentée» : un chef-d'œuvre Autre grand film ayant marqué cette édition de «Doc à Tunis», le film franco-syrien de Oussama Mohamed et Wiam Simav Bedirxan. Cet opus est né de la rencontre sur Internet en 2013 d'une jeune cinéaste kurde de Homs, qui a filmé la ville en ruine, après les bombardements, et avec le grand cinéaste syrien Oussama Mohamed, réfugié à Paris. Sélectionné à Cannes 2014, «Eau argentée» est un hymne émouvant à la liberté contre l'oppression d'où qu'elle vienne, et aux peuples qui résistent à la violence en perpétuant la vie, malgré la mort et la destruction. Dans ce film d'une grande force, la vie triomphe de tout, des ruines, des tragédies, des souffrances et de la mort provoquées par une guerre qui dure depuis 5 ans. En fait, la jeune Kurde Wiam Simav filme des images de Homs sous la guerre et les envoie à Paris. Oussama Mohamed les récupère, construit et monte le film dans une volonté manifeste de témoigner, de dénoncer et d'ouvrir les yeux du monde entier sur ce qui se passe en Syrie où la population est prise en otage et en étau entre plusieurs belligérants : l'armée syrienne libre «l'armée de Bachar Al Assad» et le groupe armé Etat islamique. Et tous n'ont pour but que de s'accaparer le pouvoir. Chef-d'œuvre d'une force inouïe, dégoulinant de poésie dont on ne peut sortir indemne. «Eau argentée» véhicule des images insoutenables reflétant l'horreur d'un monde sans humanité. Voici pour le cinéma; pour le reste, disons que cette édition a été marquée par l'hommage rendu au distributeur et exploitant Jilani Gobantini qui a tiré sa révérence le 11 mars dernier. «Père des salles de cinéma» : du Colisée au 7e Art, en passant par le Palace, le Capitole et autres temples, il a consacré sa vie à la distribution et à l'exploitation cinématographiques, il était réellement une figure emblématique du cinéma tunisien. Paix à son âme. Wassila et Lassaâd Gobantini, ses proches parents, ont repris le flambeau, il y a quelques années, et continuent, aujourd'hui, à perpétuer son œuvre de promotion du cinéma, en général et tunisien en particulier.