La situation politique, économique et sociale n'est guère reluisante. Bien pis, elle n'a de cesse de s'enliser dans une crise multiforme. Les faux ténors de l'establishment gigotent dans tous les sens. Rien n'y fait Les Tunisiens ont le regard braqué sur Le Kef. Une grève générale, diligentée par la centrale syndicale, l'Ugtt, y est annoncée pour le 3 mai. Cela suscite d'autant plus d'appréhensions que cette grève intervient suite à une visite du chef du gouvernement dans la région. Les gens avaient exprimé leur désapprobation des mesures gouvernementales annoncées après coup, les jugeant mièvres et inconsistantes. Actions et réactions avaient débouché sur des affrontements avec la police. Tout s'est enclenché depuis. Et puis, depuis peu, plusieurs régions de Tunisie sont devenues comme autant de poudrières. Un rien peut y attiser les feux rougeoyant sous les cendres. On l'a vu en janvier à Thala-Kasserine et dans plusieurs autres villes du pays profond, et même dans la capitale et le Grand Tunis. On a dû recourir au couvre-feu pour désamorcer les foyers de tensions dramatiques et particulièrement violents. On l'a revu encore il y a peu à Kerkennah. Les contrecoups des violences qui y ont fait une irruption fracassante et spectaculaire se font toujours ressentir. Douloureusement et dans la crispation. L'absence de réformes économiques et sociales y est pour beaucoup. Le chômage massif persiste. Ses moyennes sont plus élevées dans le pays profond. Le renchérissement des denrées alimentaires grève le pouvoir d'achat des citoyens, déjà profondément entamé au fil des années de stagnation et de récession. Les investissements sont rares, les exportations rétrécissent comme peau de chagrin. Le tourisme est à proprement parler sinistré. La dette extérieure atteint des seuils faramineux et contraignants. Seule la donne sécuritaire semble s'améliorer. Depuis les attaques terroristes de Ben Guerdane, en mars dernier, le terrorisme semble essoufflé. Mais rien n'est définitivement gagné dans ce registre. Le terrorisme est par définition lâche et imprévisible. En une année, les attaques terroristes du Bardo, de Sousse et de l'avenue Mohamed-V à Tunis ont coûté à l'économie quelque dix-sept milliards de dinars. Soit un peu plus de la moitié du budget annuel de l'Etat. Bref, partout ou presque, c'est le blocage. Témoin, l'absentéisme caractérisé et éhonté des députés au Parlement, les luttes fratricides et scissions sévissant au sein des partis de la majorité gouvernementale, l'inconsistance manifeste de l'opposition, dont les composantes semblent floues et changeantes au gré des humeurs. Et l'on ne semble guère près de voir le bout du tunnel. La Tunisie va mal. L'enveloppe politique post-révolution est devenue rapidement caduque, inadéquate. Les institutions en subissent les contrecoups pervers. Partout, les coteries et les dérives, à l'instar du conflit qui secoue l'Instance vérité et dignité, en charge de la justice transitionnelle. Elle est tout simplement bloquée, elle aussi, livrée aux querelles de chapelle sur fond d'intérêts partisans inavoués. M. Habib Essid, chef du gouvernement, n'en a cure. Depuis deux semaines, il organise à tour de bras des rencontres périodiques avec les journalistes de la place. Et affiche une fausse sérénité. A l'en croire, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, côté profil de l'action gouvernementale. Autrement, il sème à tout vent des formules à l'emporte-pièce, du genre «la Tunisie a besoin de la fortune de Qaroun (Coré) et de la patience légendaire d'Ayyoub (Job)». Pourtant, les réformes sont inexistantes ou avancent à une allure d'escargot. Quant à la dilapidation des biens et deniers publics, c'est une évidence on ne peut plus manifeste. Et seule l'austérité demeure une vérité tangible. En vérité, ce dont la Tunisie a éminemment besoin, c'est de vrais dirigeants politiques à la barre. Et non point de simples politiciens dont les ambitions se résument à se maintenir en poste vaille que vaille. La mauvaise communication du chef du gouvernement, et de son cabinet en général, suscite une véritable cécité politique sur fond de triomphalisme et d'autoréférencialisme. Entre-temps, le pays réel est coupé littéralement du pays officiel. Les nouveaux seigneurs de la guerre s'enrichissent grâce au pactole de la contrebande. Les nouveaux pauvres rejoignent les rangs des laissés-pour-compte et les institutions périclitent.