En fin de compte, qu'a-t-on gagné des différents processus de dialogue menés au cours des derniers mois ? Pratiquement rien. La classe politique est on ne peut plus divisée. Les différends relatifs à la Constitution ne sont pas encore tranchés. La transition est bloquée. Et l'on ne sait toujours pas quand interviendront les prochaines élections législatives et présidentielles. Et voilà que le président de la République s'est avisé depuis peu de relancer le dialogue tandis que la centrale syndicale, l'Ugtt, a annoncé un nouveau round du dialogue national. De son côté, M. Néjib Chebbi, leader d'Al-Joumhouri, a proposé il y a quelques jours la mise sur pied d'un comité de parachèvement de la transition. Des initiatives mort-nées ? Du tape-à-l'œil ? L'issue de secours? Les interrogations sont à l'aune des paradoxes. En fait, supposé unir, le dialogue est par vocation unitaire. Ce qui n'est guère le cas dans la place politique tunisienne. Résumons. Nos dirigeants politiques ont été, pour la plupart, catapultés sur la place à l'improviste ou du moins à la va-vite. On a dû simuler le consensus avec des protagonistes qui ne s'y prêtent pas de prime abord. Hormis ceux qui se comptent sur les doigts d'une main, nos partis s'avèrent inconsistants, ou inachevés, ou carrément inappropriés. A l'image de leurs dirigeants, ou ceux supposés être tels. Notre vie politique en ressort sous un jour miteux et provincial quasi congénital. Plusieurs considérations y président. D'abord, l'absence de tradition politique démocratique bien ancrée. Ensuite la création des partis sur des considérations émotionnelles, fantaisistes ou à seule fin de contenter un chef, le leader unique, éternel et incontesté. Enfin, l'inconsistance due à l'absence de visibilité politique des différents protagonistes. On parle très peu de programmes et de praticabilité de ces programmes. On se rabat sur des professions de foi générales, altruistes, généreuses. Et c'est tout. Des chefs qui font du surplace ad aeternam finissent par perdre en visibilité et en imaginaire politique. Parce que la vie politique suppose la lecture vivace et adéquate du réel, en sus de propositions concrètes. La transition politique chez nous s'éternise. Elle pèche par excès de lenteur. Entre-temps, les problématiques économiques et sociales s'amoncellent. Ceux qui tiennent le haut du pavé en subissent les contrecoups pervers. C'est bien d'occuper les dignités et d'en tirer les privilèges. Encore faut-il en supporter les servitudes. On connaît le principe général : qui a les privilèges supporte les charges. Il en résulte une méfiance de plus en plus manifeste et criarde à l'endroit de l'élite politique. Les gens jugent les responsables instinctivement, en fonction du pouvoir d'achat, du coût de la vie, des prix et de la disponibilité des denrées alimentaires et de base. Et les systèmes de transition ont ceci de particulier qu'ils grèvent en général le coût de la vie. Plus ils s'étirent en longueur, plus ceux qui en ont les charges en supportent les effets néfastes. Aujourd'hui, il y a une espèce de dégradation de l'image de marque des gouvernants auprès de l'opinion. Cette dernière, profondément affectée et exsangue, promène un regard plutôt exigeant et sévère à l'endroit de l'élite politique. Les querelles des différentes factions leur en coûtent. Toutes sans exception. Le blocage dans un mouchoir de poche dessert tout le monde, ceux qui occupent les devants de la scène en prime. Et ce n'est pas fini.