Par Kamel GHATTAS Il y avait grande animation du côté du parc du Belvédère. Les pensionnaires du zoo étaient en assemblée générale constitutive pour la création de «l'Association sportive zoologique de Tunis». Cette décision a été prise à la suite d'une réunion qui a été particulièrement houleuse au cours de laquelle la majorité a soutenu qu'étant donné le nombre grandissant de ses membres sollicités pour prendre en charge des associations ou organisations, il était plus que légitime de créer sa propre institution. Elle aura pour mission de défendre les droits de ses membres, bien sûr, et de tous ceux qui sont détachés en mission au service de ceux qui les sollicitent. Il faut croire qu'étant donné la pénurie de personnalités compétentes et capables de porter à bout de bras les différentes disciplines, il est devenu fréquent de s'adresser là où on est à même de répondre sans poser de questions. Les compétences, par les temps qui courent, ne veulent plus se mouiller ou essuyer des affronts dont ils pourraient se passer en restant bien au chaud dans leurs chaussons. Ce n'est pas bien courageux, mais étant donné les piquets de grève et les insubordinations qu'encouragent le manque de poigne et l'ambiance qui règne un peu partout, on ne saurait reprocher à ceux qui préfèrent garder ce qui leur reste comme dignité, leur manque de courage. Tous ceux qui comptent dans le milieu étaient là : le CPD (Comité des Présidents Désargentés), l'ACPS (l'Association des Chasseurs de Primes et Subventions), l'ODRCI (l'Organisation des Ronds de Cuir Indéboulonnables), etc. etc. Bref personne ne manquait à l'appel. C'est que la nouvelle structure, que l'on se propose de créer, voulait bénéficier de l'expérience et du vécu de ceux qui ont soutenu que pour éviter le naufrage il suffisait de porter une ceinture de sauvetage. La parole a été donnée en premier lieu au président du CPD qui a donné un large aperçu des réalisations de son Comité : «Nous avons imposé nos points de vue grâce aux menaces de démissions à répétition qui ont secoué les autorités. Elles ont été dans l'obligation de nous donner de l'argent pour boucler la saison. Avec le stock de chèques sans provision et les quelques dizaines de mises en demeure qui nous sont déjà parvenues nous pourrions, si Dieu veut, terminer notre gestion. Notre cher public nous a considérablement aidés en coupant des routes et en brûlant des pneus. Les municipalités ont pleinement joué leur rôle et ont soutenu à bout de bras le secteur de la santé en évitant d'intervenir dans nos affaires intérieures. Seul le public est entré sur nos terrains. Les agents municipaux ont été tenus à l'écart et sont restés neutres, ce qui fait que rares ont été les terrains qui ont été entretenus. Nous avons la satisfaction d'enregistrer, tant dans nos rangs que dans ceux de nos divers adversaires, des accidents qui ont accéléré les progrès de nos médecins spécialistes et donné du travail aux assurances. Les statistiques sont là pour confirmer nos dires. Les subventions nous ont permis de récupérer nos sous. Les dettes que nous laissons à nos successeurs leur permettront un démarrage de saison assez houleux pour que l'opinion publique fasse leur connaissance. Ils deviendront ainsi des personnalités connues et pourront même briguer un jour un poste politique important». Des applaudissements nourris accueillent cette précieuse communication. C'est au tour de l'ACPS de prendre la parole. «La télévision doit nous donner beaucoup plus. Sans nous, elle n'aurait rien à se mettre sous la dent. Il n'y aurait ni grèves de joueurs ni mouvements de protestations. On ne brûlera rien, la protection civile sera réduite au chômage et le service d'ordre ne pourra plus s'exercer sur le terrain. Nous offrons le spectacle dans son sens le plus large du terme, mais aussi des événements quotidiens qui font connaître la Tunisie à l'étranger où on admire l'attachement du public à son équipe. Il le démontre en accueillant avec tous les projectiles possibles les équipes adverses. Il faudrait aussi que les producteurs d'eaux minérales nous accordent des subventions. Nous montrons leurs produits à la TV en lançant les bouteilles sur les terrains tout en démontrant qu'elles pouvaient être recyclées en projectiles. Quant aux municipalités il faudrait qu'elles nous accordent des primes annuelles. Sans nous, il y aurait moins d'animation dans les villes ! Ne parlons pas des ligues, elles devraient nous donner une partie de ce qu'elles encaissent, parce que grâce à nous, elles enregistrent des recettes records toutes les semaines avec les sanctions qu'elles infligent». Le zoo est en ébullition. Les assistants ne savent plus quoi faire pour manifester leur approbation pour ces paroles pleines de bon sens et de sagesse. C'était le monde à l'envers mais.... Les uns grimpent sur les arbres, les autres rugissent, bouboulent, zinzinulent, jabotent, glougloutent, d'autres encore braient. Les vautours déploient leurs ailes, alors que les oiseaux effectuent un tour d'honneur autour de l'immense clairière. Seuls les aigles observent la scène. Ils demeuraient impassibles, calmes et hautains. Le monde a bien changé ! Devant une assistance chauffée à blanc, ce fut au tour du représentant de l'ODRCI de prendre la parole dans un silence redevenu respectueux. En effet, tout le monde, en fait, attendait cette intervention car elle venaient de personnalités dont l'expérience était très précieuse. Elles étaient là depuis des années et des années en amont ou en aval des champs d'activité. Contre vents et marées, usant de tous les moyens ou subterfuges pour se maintenir, solidement collés à leur fauteuil. «Nous avons pu maintenir le statu quo et avons évité tout changement pouvant intervenir pour bouleverser nos habitudes et traditions. Pourquoi en fin de compte changer quoi que ce soit alors que nos clubs acceptent cette médiocrité que respecte la tutelle ? Il s'agit de savoir entretenir les relations. Quelques dons par-ci, quelques matériels par là, et on peut se permettre de faire fi de toute logique et de toutes convenances. Les règles et lois en vigueur il faut savoir les bafouer en les contournant avec l'aide de dispositions prises par des instances qui les ont mises en place pour des adhérents plus attachés aux intérêts de leurs pays et de leurs disciplines que pour les leurs, pour garder les postes conquis. Nous sommes là depuis belle lurette, certes, et ni les insuffisances criardes ni les échecs n'ont réussi à nous écarter parce que les clubs sont pour nous. C'est la loi de la démocratie». Au terme de cette magistrale intervention, il a été décidé de présenter le dossier portant sur l'obtention de l'agrément qui permettra à la nouvelle association d'exercer, pour contribuer à l'amélioration du niveau des activités physiques et acrobatiques