De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI Après Maren Ade, la réalisatrice allemande de la comédie dramatique «Toni Erdmann» , c'est au tour de Jim Jarmusch d'illuminer la Croisette avec le sublime et poétique «Paterson». La particularité de ce film c'est son côté zen et tranquille, sans conflit dramatique. Paterson (Adam Driver) vit dans le New Jersey, justement à Paterson, une ville de grands poètes, William Carlos Williams et Allan Ginsberg. Chauffeur de bus d'une trentaine d'années, il mène une vie réglée comme du papier à musique auprès de sa femme, Laura (Golshifteh Farahani) qui s'occupe en refaisant le décor de l'appartement entièrement en noir et blanc jusqu'à l'obsession : les murs, les rideaux et même les cupcakes. Elle multiplie, en même temps, avec enthousiasme, toutes sortes d'expériences et de projets, rêvant de devenir une star de country-music. Mais elle aime surtout les poèmes de son mari qu'elle trouve sublimes et géniaux, elle l'encourage à les publier pour en faire profiter le maximum de gens. Les journées du couple coulent comme un long fleuve tranquille, relevant, presque, d'un rituel quasi poétique : tous les matins, Paterson se réveille avant 6h30, il embrasse sa femme qui lui raconte son dernier rêve, prend son petit déjeuner, puis part au travail. pendant les pauses il écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte jamais. Le soir, il s'arrête au bar après avoir promené leur chien, Marvin, un bouledogue anglais, animal-acteur cocasse en diable par qui tout arrivera. Et quand Paterson rentre à la maison, Laura dort déjà... Malgré la routine, les deux personnages s'attirent au fil des jours, Paterson tendre et attentionné, est une personne à l'écoute non seulement de sa femme mais aussi de tout le monde : les passagers du bus, ses collègues, le patron et les habitués du bar dont le couple de Noirs qui n'arrivent pas à s'entendre... Il écoute et s'exprime peu, intériorisant des fragments de conversations, des gestuelles et autres scènes de la vie quotidienne. Ainsi va la vie des deux personnages centraux qu'on suit pendant sept jours rimés par le rituel du réveil du couple. Le film se décline, par conséquent, comme un poème avec les déclamations en voix off des vers libres qu'écrit Paterson. Ce sont des fragments de poésie amoureuse au style lyrique et imagé, qu'on voit calligraphiés à l'écran. C'est que dans cet opus Jarmusch rend hommage à la poésie des détails, des variations, des gestes et des échanges quotidiens. Les poèmes déclamés, dans le film, étant de Ron Padgett. La ville de Paterson, qu'on découvre dans un flot d'images de la fenêtre du bus, est en elle-même un personnage, une ville modeste, typiquement industrielle, soit le centre du textile de l'Amérique du Nord, ce qui a donné lieu à la naissance du mouvement anarchiste qui a nourri la littérature et la poésie dans ce coin qui n'offre comme échappatoire pour la méditation que les jolies chutes de la rivière Passaic, décor capital où se réfugie le poète et où se dénouera le film dans une sorte de dialogue cocasse entre un admirateur japonais de William Carlos Williams et Paterson... L'enjeu de ce film ruisselant de poésie est de célébrer des choix de vie, comme l'a affirmé le réalisateur dans la conférence de presse qui a suivi le film, Paterson a choisi d'être chauffeur de bus et poète et sa femme a choisi de vivre simplement et sereinement au foyer mais avec des rêves dans la tête et des idées créatrices. Mieux, Jarmusch célèbre, également, les valeurs de l'amour, du travail, de l'amitié, de l'écriture et de la création o combien suffisantes pour faire le bonheur des hommes. Ce film-poème d'une grande puissance se décline tel un rêve qu'on fait éveillé, il illumine les esprits par la grâce de ses sept journées rimées et le talent de ses merveilleux et talentueux acteurs. Dans «Paterson», on retrouve, en outre, le style minimaliste de Jarmusch comme dans «Coffee and cigarettes», «The limits of control » et autres, l'intention du réalisateur étant de proposer, comme il l'a affirmé lui-même, «un antidote à la noirceur des films dramatiques et du cinéma d'action». «Paterson», chef-d'œuvre émouvant, sera un sérieux prétendant à la Palme d'Or, sinon à plusieurs autres récompenses dont les prix d'interprétation pour les deux acteurs principaux. A défaut, il a déjà remporté la Palme du cœur.