De notre envoyée spéciale à Cannes, Samira DAMI La 69e édition du Festival de Cannes tire à sa fin, la quasi-totalité des films en compétition ayant été projetés. Certains opus ont séduit la Croisette se détachant, jusqu'ici, du lot, en raison de leur originalité, la force du propos, la maîtrise de la forme et l'émotion suscitée. Parmi les films : « Paterson » de Jim Jarmusch dont le style profondément poétique a bouleversé les festivaliers et la critique internationale. Un chef-d'œuvre. «Toni Erdmann» de l'Allemande Maren Ade, une comédie dramatique où un père s'acharne en multipliant les farces à rendre un sens à la vie de sa fille, voire plus, lui rendre son humanité perdue dans le monde froid et cruel de la finance et du business. « Ma Loute » du Français Bruno Dumont est un film d'époque, façon métaphore burlesque sur le monde d'aujourd'hui, où deux classes s'opposent, mais la puissance du mal se décline partout aussi bien du côté des riches bourgeois que de celui des prolétaires miséreux. Dans la même veine «I, Daniel Blake» de l'Anglais Ken Loach, qui, fidèle au genre cinéma social, dénonce le désistement de l'Etat à l'égard de la classe des démunis victimes des crises économiques et de la politique de rigueur dure et absurde de l'administration. «Loving» de l'Américain Jeff Nichols, dont l'action se situe dans les années 60, met en scène la lutte pour les droits civiques d'un couple mixte, auquel l'Etat de Virginie refuse le mariage. Engagé, sobre et émouvant. «Aquarius» du Brésilien Kleber Mendoça Filho filme, de manière épurée, la lutte d'une sexagénaire, Clara, qui refuse de vendre son appartement, contrairement à tous ses voisins. S'engage un bras de fer avec une puissante société immobilière. En mêlant la petite histoire à la grande histoire, le film épingle le système violent et inhumain du capital avide et vorace. L'interprète principale, Sonia Braga, pourrait d'ailleurs prétendre au prix de l'interprétation féminine. Cet opus, signalons-le, est coproduit par le producteur tunisien Saïd Ben Saïd qui présente, lors de cette 69e édition, deux films en compétition : «Aquarius» et «Elle» du Canadien Paul Verhoeven, dont la projection est prévue pour demain. «Américan Honney» de l'Américaine Andrea Arnold, malgré quelques longueurs, s'impose comme un film du genre Road-movie focalisé sur la jeunesse américaine laissée pour compte. Une fraîcheur juvénile et innovante imprègne le film. Enfin, en attendant la projection de «The last face» de l'Américain Sean Penn et «Forushande» (Le client) de l'Iranien Asghar Farhadi, «Baccalauréat» du Roumain Cristian Mungiu, de retour, à cannes après avoir obtenu en 2007 la Palme d'Or pour «4 mois, 3 semaines, 2 jours», et en 2012 les prix du meilleur scénario et de la meilleure actrice pour «Au-delà des collines », s'impose comme un film important et maîtrisé qui traite de l'énorme corruption qui sévit en Roumanie, un système tellement ancré et pourri que tous les parents ne rêvent que de voir leurs enfants partir en Europe de l'Ouest. Sauf que la fin s'avère surprenante et peu convaincante. Mais l'acteur Adrian Titieni, dans le rôle du père cédant aux compromissions pour assurer l'avenir de sa fille, tournant le dos aux principes et valeurs qu'il a inculqués à sa fille, est un sérieux candidat au prix d'interprétation. Les déceptions Parmi les réalisateurs habitués de Cannes et dont on attendait le plus grand bien cinématographique, certains ont déçu, citons-en les frères Dardenne, qui appartiennent au club fermé des détenteurs d'une double Palme d'Or (Rosetta et l'Enfant). Leur dernier opus «La fille inconnue» explore le sentiment de culpabilité à travers le personnage de Jenny, une femme médecin qui se sent coupable pour ne pas avoir ouvert la porte de son cabinet à une jeune fille noire retrouvée morte le lendemain, probablement assassinée. Hélas, le personnage principal de ce drame social n'est pas crédible, le médecin se convertissant en détective qui dame, même, le pion à l'inspecteur chargé de l'enquête. Outre qu'avec ce film, il est clair que les Dardenne font visiblement du Dardenne tant leurs parti-pris cinématographiques : sobriété, réalisme, silences, et autres se répètent sans harmonie avec le genre du récit d'où l'ennui ressenti, notamment, par manque de ricochets dans le scénario d'une grande platitude. «Juste la fin du monde» de Xavier Dolan déçoit, à son tour, car ce jeune doué qui a, il y a deux ans, raflé le prix du jury de Cannes avec «Mommy», ratant de près la Palme d'Or, change de cap en adaptant au cinéma la pièce de Jean-Luc Lagarce, en quête d'une certaine maturité. Dans ce huis clos, il s'agit du retour d'un enfant prodigue, un écrivain homosexuel qui a quitté son village il y a 12 ans et qui revient annoncer à sa famille sa mort prochaine, car malade du sida. Mais, la famille ne fait que se disputer, se quereller et se lancer à la face reproches et rancœurs. Tout ça pour nous dire qu'il est si difficile de communiquer, mais le hic est que ça n'évolue pas et sombre même dans la redondance, du coup on s'en lasse. Et cette pléiade d'acteurs français convoqués, Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Marion Cotillard et Léa Seydoux, ne peuvent sauver cet opus du naufrage. Enfin, l'autre grande déception n'est autre que le film de l'Espagnol Pedro Almodovar qui, avec «Julietta», réalise un film reposant, également, sur le sentiment de culpabilité à travers la relation d'une mère avec sa fille. Almodovar se répète au fil de ses récits, façon poupées russes, où s'emboîtent les secrets de famille. Et pour la forme, il y a non plus rien à signaler. En tout cas, on est loin de son chef-d'œuvre «Parle avec elle» qui, s'il avait été programmé à Cannes, en 2002, aurait facilement raflé la récompense suprême. Hélas le réalisateur avait refusé de le présenter à ce festival. PS : Aujourd'hui, sera projeté en séance spéciale, et en toute discrétion, le film documentaire «Peshmerga » de Bernard Henri-Lévy qui a été ajoutée à la sélection officielle après le démarrage du festival. Quoi de plus normal que «Cannes» soit aussi discret, en communiquant très peu sur cette projection unique, puisque le film d'Emir Kusturica «On the milky road» avec Monica Bellucci a été refusé pour motif «de dépassement de délai ». Etrange qu'on refuse aux uns ce qu'on permet aux autres. Kusturica estime, lui, qu'il a été «puni pour ses bonnes relations avec le président russe Vladimir Poutine, et qu'un jour de retard après les délais n'a jamais constitué une raison pour refuser un film». C'est là la politique qui se mêle du cinéma et c'est du plus mauvais effet, pour le moins honteux.