L'univers des femmes potières du Maghreb a livré certains de ses secrets. D'autres ne sont pas encore dévoilés. Vendredi dernier, Beït al-Hikma a invité l'historien français Pierre Guichard afin de présenter son ouvrage dédié aux potières du Maghreb. Intitulé «Par la main des femmes : La poterie modelée au Maghreb», ce livre est le fruit de l'intérêt porté par son auteur à cette pratique ancestrale et à l'histoire médiévale du monde musulman, thème qu'il a abordé dans des œuvres comme «Etats, sociétés et cultures dans le monde musulman médiéval» (PUF, Paris, 1995 et 2000) et «Les débuts du monde musulman, VIIe-Xe siècle (dir.)», (en collaboration avec Thierry Bianquis et Mathieu Tillier, PUF (Nouvelle Clio), Paris, 2012). «L'originalité de cet ouvrage est d'aborder la poterie en tant que phénomène commun dans le Maghreb, du Rif marocain au Sud de la Tunisie», a commencé par expliquer le professeur, à l'entame de la conférence animée par Mounira Chapotot-Remadi. La pratique de la poterie est, en effet, de rigueur autant dans les régions berbères que sahéliennes. «Elle concerne les populations sédentaires», ajoute-t-il. Toutefois, chaque région a ses spécificités. Tel est l'exemple d'une poterie colorée en grande Kabylie, alors que les œuvres des potières de la petite Kabylie jouent sur le contraste entre un fond clair et des motifs noirs. En Tunisie, qui connaît de nombreuses régions productrices — de Sejnane à Gafsa et à Kasserine—, jusqu'à aujourd'hui, la poterie dite «nue», sans décoration et destinée à l'usage quotidien, se vend toujours sur les routes. Dans certaines régions, celle qui est décorée est destinée à un usage personnel uniquement, car elle porte l'empreinte de la potière. Ce n'est pas le cas de Sejnane, qui se distingue par ses poteries aux décors figuratifs, prisées par les Tunisiens et les visiteurs étrangers. Cette diversité des objets apporte plusieurs éclairages sur la poterie modelée au Maghreb. Et l'on a soulevé la question des origines, que Pierre Guichard n'a pas abordée dans son ouvrage, mais dont il a avancé quelques éléments pendant la conférence. «Les fonds bombés de certaines poteries montrent l'influence de l'Afrique noire sur ce savoir-faire», explique le professeur. Du Mathred au Tibaqcin, les nominations des pièces sont communes avec parfois quelques variations d'une région à une autre. Dans sa présentation de «Par la main des femmes: La poterie modelée au Maghreb», Pierre Guichard a commencé par montrer une carte de la région avec les différents endroits où cet art a été ou est toujours pratiqué. Dans ses explications des caractéristiques des œuvres, il s'est basé sur quelques-unes des nombreuses photographies que contient l'ouvrage. Celles-ci viennent de musées en Tunisie et en Europe, des voyages d'étude de Pierre Guichard ainsi que de collections privées de Maghrébins et d'Européens. Le volet historique a également été abordé par le professeur. Il a ainsi évoqué de précédents ouvrages consacrés aux femmes potières, comme «Les potières de Sejnane» de Nozha Skik et Adnen Louhichi et un ouvrage sur la poterie tunisienne de Véronique Fayolle. Il a attiré l'attention sur le fait que les recherches sur ce thème sont sporadiques et qu'il reste difficile d'avoir la traçabilité de la production, vu la quasi-absence de recherches ethnographiques et historiques sur la poterie au Maghreb. «Il n'y a pas de jalons historiques mais il y a quelques jalons techniques», a commenté l'historien Adnen Louhichi pendant le débat, qui s'intéresse à ses ouvrages, entre autres, aux origines des décors dans la céramique médiévale en Ifriqiya,. La question semble donc loin de faire l'unanimité chez les chercheurs et l'éclairage apporté par Pierre Guichard dans son ouvrage lève le voile sur des pièces uniques et des œuvres magnifiques des femmes potières du Maghreb. Un éclairage qui semble «le fruit d'une passion personnelle plus que d'une recherche académique», comme l'a décrit l'un des intervenants au débat.