Personnage pittoresque par excellence, «Chanab» (le moustachu) a bercé des mois de Ramadan entiers nos ruptures de jeûne. Juste après l'appel à la prière, la voix assourdissante de Ezzeddine Brika intervenait sur fond d'indicatif pour tonner, sûre d'elle, comme si elle défiait tous les fiers-à-bras de la planète et lancer deux ou trois syllabes synonymes de bravoure et de virilité. «Chanab». Ce qui, dans notre société, est très significatif car ne porte pas des moustaches qui veut‑!… * Cette série-là, qui prenait le relais de «Haj Klouf», pourtant entré dans la légende, assumait donc le défi d'une très cruelle comparaison. Le succès incomparable du feuilleton joué par Hamouda Maâli rendait la comparaison trop sévère pour son héritier à la grille de prime-time ramadanesque de la Radio nationale. Ezzeddine Brika, décédé le 3 juin 1992, a vu le jour le 28 mai 1932 à Radès. A 14 ans, il se coltinait déjà avec l'art dramatique à travers l'interprétation du personnage de Haroun Errachid sous la conduite de son maître d'école Hédi Gammarti qui lui prédisait sur le coup une belle carrière au théâtre. A 19 ans, c'est sur recommandation d'un de ses proches qu'il frappa à la porte de la radio. Les «enfantines» lui servaient de tremplin, Le 1er janvier 1952, Mohieddine Mrad l'introduisait dans cet établissement qui a fait découvrir un tas de jeunes artistes. Mohieddine Mrad animait alors l'émission de critique et de divertissement «Asfour Stah» (Oiseau de terrasses) et jouait en même temps avant que la télévision ne fasse son appartition. Mohieddine Mrad a d'ailleurs joué le premier rôle dans le premier long métrage tunisien «Majnoun Al Kairouane» (le fou de Kairouan) aux côtés de Flifla, chanteuse et danseuse juive qui est la mère de Hana Rached. Le film a été réalisé par Jacques Creusy. Les présentations furent ainsi faites par Mohieddine Mrad auprès de Hamouda Maâli, le réalisateur des œuvres dramatiques en arabe parlé et auprès de Kamel Baraket, le réalisateur égyptien des œuvres en arabe littéraire qui passaient à la radio. Les membres de la troupe théâtrale de la Radio se confondaient avec ceux de la troupe «Al Masrah echaâbi» (le théâtre populaire). Ils faisaient en fait un même groupe qui connut un succès fulgurant en jouant la pièce «El Haj Klouf» sur les planches après l'avoir enregistrée pour la radio et la télévision. Ecrite par le grand homme de lettres Ahmed Kheireddine, cette pièce culte a été représentée plus de soixante fois au théâtre. Par la suite, la légende de cette œuvre allait grossir par le biais d'une série ramadanesque diffusée sur les ondes juste après la rupture du jeûne. Elle a rassemblé une brochette de comédiens talentueux. Il arriva même que le leader et ex-Président de la République Habib Bourguiba assiste avec son hôte le maréchal Tito, Président de l'ancienne République de Yougoslavie, à la représentation de «Haj Klouf fil Hammam» (El Haj Klouf au bain maure). Ezzeddine Brika avait joué dans cette pièce. Les souffrances de la maladie La popularité de Brika montera de plusieurs crans par le biais de son rôle dans «Chanab». Au mois de Ramadan 1973, cette série a été diffusée pour la première fois. Pourtant, deux ans plus tard, notre bonhomme tomba malade. Il sera remplacé dans le rôle de «Chanab» par le jeune Khemaïes Jemi, à l'origine un horloger de Béja. Seulement, la direction de la Radio mit les gros moyens pour récupérer «l'original», même si la copie fit vraiment de son mieux pour imiter Brika. C'est ainsi que chaque jour d'enregistrement, une voiture allait chercher Brika à Radès et, une fois l'épisode terminé et mis en boîte, elle le ramenait jusqu'à chez lui. Mais «Chanab» produisait un effort surhumain pour tenir le coup. Les stigmates de la maladie l'épuisaient énormément. Cette série n'ira pas plus loin. Ezzeddine Brika alias «Chanab» a donc marqué l'histoire du théâtre tunisien en jouant plusieurs rôles remarquables. • A la Radio : – «Le malade imaginaire» de Molière, réalisé par Hammouda Maâli. – «Barg Ellil» feuilleton en 29 épisodes, écrit par Béchir Khraïef. – «Daghbagi» réalisé par Hammouda Maâli. – «Béchir Ben Sdira» et «Ali Ben Ghedahem» de Hassen El Khalsi. – «Chanab», série en 138 épisodes, écrite par Slaheddine Belhouane, réalisée par Habib Belhareth. • A la télévision – Fil Mélassine, téléfilm écrit par Mohamed Gmach. – Daghbagi, et Oumi Traki dans le rôle de Ech Chaloueh, série de Naceur Ben Jaâfar et l'écrivain Mohamed Hammami. – Haj klouf, série de l'écrivain Ahmed Kheireddine dans une réalisationj d'Abderrazek Hammami; – Mahkama wa baâd (Tribunal et après), série TV écrite par Mohamed Hammami et réalisée par Abderrazek Hammami. – Si Zahouène, série TV de Mohamed Ben Ali, réalisée par Jameleddine Berrahal. – Ayam fi hayati (Jours dans ma vie), premier feuilleton tunisien en couleur en 13 épisodes, écrit par Jameleddine Khlif et réalisé par Mohamed Ghodbène. – Poly à Tunis, feuilleton en 13 épisodes produit par la télévision française. • Au théâtre Avec la Troupe «Al Masrah Echaâbi» (le théâtre populaire), il joua dans plusieurs pièces dont Elf kedhba wa kedhba (mille et un mensonges), Ejmal dhak dhohka (le chameau dans un éclat de rire), Achkoun yeghleb enssaâ (qui peut vaincre les dames), El Haj Klouf. C'est dans les années 1970 qu'Ezzeddine Brika monta pour la dernière fois sur les planches en présentant une série de sketches inspirés du personnage de Chanab, avec à ses côtés Abdessalem El Bech, Abdelaziz Arfaoui, Dalenda Abdou. • Au cinéma Ezzeddine Brika joua dans le film Oum Abbès, du grand écrivain M'hamed Marzouki, réalisé par Ali Abdelwaheb. Ce film en noir et blanc, présenté pour la première fois le 24 janvier 1970 au cinéma Le Palmarium, a réuni dans les premiers rôles Hattab Dhib (Abbès), Zohra Feïza (la mère d'Abbès), Mohamed Ben Ali (l'oncle d'Abbès), avec également notre grande vedette de la chanson disparue Oulaya et son père, le comédien Béchir Rahal. Ezzeddine Brika jouera par la suite dans Sourakh (Hurlements), un film d'Omar Khelifi où il incarnera le rôle de Jaâfar. La première vision de ce long métrage s'est faite le 10 octobre 1973 à Alger, et le 2 janvier 1974 à la salle Mondial de Tunis. Ce film a obtenu le prix spécial du jury du festival de Beyrouth en 1974. Enfin, il joua dans un film espagnol Le coq du combat, et dans une coproduction tuniso-algéro-marocaine Brigade inter-Maghreb.