C'était à l'époque où le Radio était la reine des médias. En réalité, à part la presse écrite, il n'y avait rien d'autre. Ceux qui savaient lire étaient encore une minorité et puis acheter un journal quotidiennement n'était pas à la portée de tout le monde. Mais – heureusement – il y avait la Radio – Ce gros poste qu'on installait sur une table convenable et qui était un signe de distinction sociale. Très peu nombreux était encore les gens qui en possédaient. C'était un luxe. Il faudrait attendre l'invention du transistor pour que ce média se popularise. Il y avait en ces temps-là, trois escales-clefs dans les programmes de la Radio Tunisienne. El Aroui, bien sûr, “Ikhtabir Dhakâk” (Teste ton intelligence), dramatique policière de Habib Belhareth et -surtout- Hadj Klouf, personnage qui a atteint la cime des personnalités nationales. Il ne laissait rien échapper, se mêlait de tout, cherchait noise à tous ceux qui l'agaçaient ou qui sortaient de l'image qu'il se faisait du citoyen et de la citoyenneté. Il avait son souffre-douleur, récalcitrant, collant, à la limite de l'antipathie haj mnécha campé par Salah Mehdi (le comédien) qu'il sermonnait impitoyablement à la fin de chaque épisode et qu'on retrouvait au prochain épisode parce qu'il était une sorte d'alter-égo, pour lui. Il y avait aussi ce nounours tout en miel et en gourmandise qui ponctuait ses phrases ou son rire bon enfant de renflement grave mais jamais grossier qui avait toujours faim et pour qui le Haj témoignait une tendresse que même les terribles morsures de sa langue fourchue ne pouvaient cacher. Nous avons nommé El Hattab campé par le grand Mohamed Ben Ali, ce comédien modeste et tout en douceur. Haj Klouf fut campé au théâtre dans un premier temps par Béchir Rahal (le père de la chanteuse Oulaya). Mais c'est à la radio que ce personnage connût sa plus belle heure de gloire, d'après un texte de Ahmed Kheïreddine et une composition époustouflante de Hamouda Maâli, auparavant réalisateur d'une trentaine d'épisodes radiophoniques portant le titre de “J'ha” avec dans le rôle principal Salah Mehdi. Autour du Haj, il y avait aussi, son épouse (Zohra Feïza) Abdelaziz Arfaoui, Marzouk le domestique, Mohamed El Hédi et Fatma Bahri (le beau frère et la fille du Haj). Avec l'invasion de la télé, Haj Klouf céda rapidement la place à Oumi Traki (Zohra Feiza) et son fils adoré Aloulou (Mohamed Ben Ali). Certes ce duo qui ne marquait pas de réelle séparation avec l'atmosphère de douce moquerie et de rire simple et quasi-primitif remporta un certain succès. Mais malgré l'engouement généralisé du public pour la télé, rien ne pût faire oublier à ceux qui ne connaissaient que la Radio, l'humour acerbe et sans retouches de l'inimitable Haj Klouf, ce redresseur de torts sans peur et sans reproches. Outre Béchir Rahal au théâtre, Hammouda Maâli à la Radio et à la télévision, Haj Klouf fût campé aussi par Mohamed Lakhal à la télé. Mais le cœur n'y était plus. Ce personnage d'exception n'a pu survivre longtemps en dehors de la mer qui l'a vu naître et grandir : la radio tunisienne.