Renforcer l'équité du système fiscal, comme le demande le FMI, constitue un objectif important. Mais le meilleur moyen d'y parvenir est de taxer le patrimoine et les biens, pas le secteur informel. Un ouvrier d'usine conduit le soir, après sa journée de travail, un taxi non déclaré, un plombier répare un tuyau pour un client et reçoit un paiement au comptant qu'il ne déclare pas au fisc, un fournisseur de denrées alimentaires négocie avec un client potentiel au coin d'une rue, autant d'exemples d'activités de l'économie souterraine ou économie de l'ombre, activités, légales ou non, qui représentent au total des billions de dollars par an à travers le monde, ne sont pas portées dans les livres et échappent au regard des agents de le fiscalité et des statisticiens nationaux. Le crime et les activités économiques souterraines sont depuis longtemps des réalités de la vie et, pour l'heure, en progression dans le monde entier. Malgré cela, presque toutes les sociétés essaient de freiner leur croissance, en raison des graves conséquences qui peuvent en résulter. Contributions sociales manquées Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et l'Organisation internationale du travail (OIT) ont réalisé, il y a quelques mois, une étude qui focalise sur l'étendue de l'économie informelle en Tunisie, tout en identifiant les facteurs qui sous-tendent les comportements informels. Cette étude a pour objectif d'éclairer les décideurs publics en apportant une estimation du poids de l'informalité dans l'économie, et en termes de potentiel fiscal et de contributions sociales manquées. Elle offre également des pistes de recommandation et un plan d'action pour accompagner la formalisation de l'économie. L'étude montre que la part du secteur informel non agricole dans le PIB non agricole est passé de 30.7% en 2017 à 28,5% en 2020. Ce taux se situe à un niveau plus élevé lorsqu'il s'agit de toutes les activités informelles, incluant le secteur agricole avec une part du secteur informel dans le PIB aux alentours de 35,2% en 2020, contre 36,4% en 2017. Par ailleurs, l'emploi informel a représenté 26,8 % de la population active occupée en 2020, soit plus de 917.000 emplois contournant le paiement des contributions légales aux Caisses de sécurité sociale (CSS), contre 26,1% en 2019. De même, le taux d'informalité des travailleurs indépendants a atteint 57.6%, contre seulement 16.1 % pour les salariés. La transition indispensable ! A cet effet, l'étude recommande l'accélération de la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle qui demeure cruciale pour consolider la résilience des populations face aux chocs économiques et contribuer à réduire les inégalités et la précarité. Elle permettrait, également, de mobiliser des ressources fiscales et des cotisations sociales additionnelles relativement considérables, susceptibles d'atténuer les pressions sur les finances publiques et les équilibres financiers des CSS. Selon une étude de la Banque mondiale, l'étendue du secteur informel dans les économies émergentes et en développement varie selon les régions et les pays. C'est en Afrique subsaharienne qu'elle est la plus marquée (en pourcentage du PIB), avec un taux de 36% — contrairement à la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, qui affiche le taux le plus faible, à 22 %. En Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, l'informalité généralisée résulte en grande partie du faible niveau de capital humain et de l'importance du secteur agricole. En Afrique, le secteur informel constitue une importante source d'emploi et de revenu pour les populations, mais également un certain manque à gagner pour l'Etat en raison du faible taux de recouvrement fiscal dans ce secteur. La connaissance de la structure et de la dynamique du secteur informel est importante pour les politiques et pour les Etats afin de réussir la transformation structurelle de leurs économies et créer des activités plus productives et génératrices de croissance. Par ailleurs, avec l'entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), les réflexions sur le secteur informel devraient s'accentuer dans le sens de l'amélioration des politiques liées à la formalisation des unités de production informelles et à la productivité dans ce secteur. Des mesures envisagées En Europe-Asie centrale et en Amérique latine-Caraïbes comme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le poids de la réglementation et de la fiscalité et la faiblesse des institutions sont deux facteurs importants de l'informalité. L'étude de la BM montre, par ailleurs, que l'économie informelle n'est pas une fatalité dans le monde émergent et en développement. « Même si elle reste élevée, elle était en recul constant depuis 30 ans avant la crise sanitaire. En moyenne, elle a baissé d'environ 7 points de pourcentage du PIB entre 1990 et 2018, pour ressortir à 32 % du PIB. Ce reflux est en partie dû aux réformes engagées. Depuis trois décennies, la plupart des gouvernements ont pris des mesures, soit pour augmenter les avantages liés à la participation à l'économie formelle, soit pour réduire le coût de l'exercice d'une activité formelle — qu'il s'agisse de réformes fiscales, pour améliorer l'accès aux finances ou pour renforcer la gouvernance». Ce travail de la Banque mondiale recommande certaines actions à entreprendre à l'intention des responsables publics des pays émergents et en développement. D'abord, il est important d'opter pour une approche globale, puisque l'économie informelle, qui traduit un sous-développement généralisé, ne peut pas être traitée isolément. Il est ensuite nécessaire d'adapter les mesures au contexte national, les causes de l'informalité étant très variables, puis renforcer l'accès à l'éducation, aux marchés et aux financements, pour permettre aux travailleurs et aux entreprises du secteur informel d'atteindre un niveau de productivité suffisant pour rejoindre l'économie formelle. Il est également impératif d'améliorer la gouvernance et le climat des affaires pour favoriser le développement de l'économie formelle et, enfin, rationaliser les régimes fiscaux pour réduire le coût de l'activité formelle et renchérir le coût de l'activité informelle.