Par Abdelhamid Gmati Le ministère de l'Emploi établit que la Tunisie compte aujourd'hui, 4 millions de personnes actives parmi lesquelles 28,1% sont des femmes. Un million de personnes sont dans le secteur privé, 500 mille sont des autoentrepreneurs, 650 mille sont des fonctionnaires de l'Etat et plus de 600 mille sont au chômage, soit 15,2% de la population active. Ce qui est très élevé et constitue un des problèmes de l'heure. D'autant qu'un grand nombre de ces chômeurs sont des diplômés du supérieur. Pourtant, il existe 145 000 offres d'emploi qui ne sont pas satisfaites. Elles concernent, essentiellement, les secteurs des technologies de l'information et de la communication, l'agroalimentaire, le bâtiment, l'industrie chimique, la papeterie et l'industrie médicale. C'est qu'il s'est avéré que les candidats diplômés n'ont pas les compétences requises. C'est ce qui apparaît dans le rapport national sur l'emploi, présenté lundi dernier, par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (Iace), qui a réalisé deux enquêtes de terrain effectuées sur un échantillon de 400 entreprises et 10 300 diplômés. Les entreprises recherchent, dans leurs offres d'emploi, quatre spécialités : la maîtrise de l'outil informatique et la capacité de travailler en ligne, la maîtrise des langues, qui devient nécessaire à l'intégration dans l'entreprise, la capacité d'initiative et la créativité combinée à la maîtrise de la langue anglaise. Or les postes offerts restent non pourvus, les postulants n'ayant pas le profil adéquat. « L'absence de profils compétents et adéquats ne fait qu'aggraver le chômage », constate Fayçal Derbal, vice président de l'Iace. La situation est d'autant plus regrettable lorsque le candidat est appelé à faire des présentations écrites et orales de ses compétences et expériences lors des entretiens. Et il s'avère que près des deux tiers des candidats sont jugés incompétents. C'est-à-dire qu'ils ne savent pas s'exprimer, à l'oral et à l'écrit. Les implications en termes de parcours professionnel sont dramatiques. Ce phénomène analysé est intrinsèquement lié au système d'éducation et de formation en place aujourd'hui dans notre pays. Walid Belhaj Amor, vice-président de l'Iace, parle de ce qu'il qualifie d'«abandon de recrutement », un problème majeur qui fait perdre aux entreprises des parts de marché. En effet, les entreprises qui cherchent à se développer davantage, abandonnent la course au recrutement quand elles ne trouvent pas le profil approprié pour lancer un nouveau produit ou promouvoir un service de pointe. «Les délais d'attente du profil recherché peuvent atteindre jusqu'à 36 mois dans l'industrie du cuir et chaussure», précise Fayçal Derbal. Et selon la même étude, pour 87% des demandeurs d'emploi, la durée d'attente pour une première insertion professionnelle est comprise entre une année et 4 ans et peut même atteindre 6 ans. Selon l'étude, sur les deux prochaines années, le secteur privé aura besoin de 270.000 nouvelles recrues, considérant la destruction de 50.000 postes d'emploi pour le même intervalle de temps. On obtiendra une création nette de 75.000 emplois, 68,5% desquels seront sollicités par les grandes entreprises, c'est-à-dire les entreprises employant plus de 200 personnes. On pense que l'université tunisienne fait preuve d'inadaptation aux tendances du marché, et s'est déconnectée des besoins des entreprises, lançant sur le marché des diplômés inaptes à s'y insérer, et ainsi être en grande partie la source du chômage massif. L'analyse des postes d'emploi demandés laisse entrevoir que le marché a besoin de plus en plus de main d'œuvre qualifiée ou peu qualifiée, opérant dans des activités classiques comme le bâtiment par exemple. Le marché a donc besoin d'individus formés, que les universités, hormis les instituts technologiques, sont incapables de fournir. La Commission nationale de la réforme a élaboré un « projet de réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique 2015 – 2025 », dressant un diagnostic de l'université tunisienne, et a mis en évidence les constats suivants: dégradation du niveau des entrants à l'université, non adéquation entre les flux d'étudiants et les ressources disponibles, dégradation des conditions d'enseignement et de vie universitaire, absence d'indicateurs de mesure de la qualité dans la formation et l'encadrement. On relève également l'absence de bonne gouvernance et d'autonomie des universités, l'absence d'ancrage des universités dans leur environnement régional, le déséquilibre régional et la dispersion de la carte universitaire, outre la faiblesse du rendement du système de la recherche scientifique, particulièrement dans le domaine de l'innovation et la non-valorisation des entreprises à forte valeur ajoutée. Il faudra, donc, doter les universités des moyens et outils leur permettant de satisfaire les normes du marché du travail. Tout un programme.